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Trois questions à Allain Bougrain-Dubourg, Président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)

ANES : Le congrès de la LPO se tient à partir de demain à Obernai. Il y a quelques jours, toutes les structures de protection de la nature ont lancé la mobilisation en vue du Congrès mondial de l’UICN qui se tiendra dans deux ans à Marseillle. Pour vous ce congrès de la LPO constitue une étape de la mobilisation ?

Allain Bougrain-Dubourg : L’intérêt d’un rendez-vous comme Marseille 2020, c’est qu’il nous permet de « cranter » : de fixer des objectifs inscrits dans le temps, et de vérifier l’étant d’avancement, à intervalles réguliers. Nous avons donné une orientation particulière à ce congrès : les relations entre biodiversité et agriculture. On sait bien que l’agriculture est l’une des causes premières du déclin de la biodiversité, nous sommes donc bien là au cœur des préoccupations que nous partageons avec l’UICN. Nous souhaitons être pragmatiques, notamment en valorisant une démarche appelée « Des terres et de ailes », dans laquelle nous recommandons aux exploitants agricoles des comportements favorables à la biodiversité, sans affecter leur production ni leur revenu. Bien sûr, la loi « agriculture et alimentation » est définitivement adoptée. Mais cela ne signifie pas que la bataille est terminée ! Une fois qu’une loi est votée, même si elle est très loin d’être satisfaisante comme c’est le cas, tout repose sur sa mise en œuvre. Et je crois à la valeur des comportements. Un exemple : dans cette loi les parlementaires ont rejeté avec mépris tous les amendements portant sur le bien-être animal. Et pourtant, on voit que les consommateurs ne veulent plus d’œufs issus de poules élevées en batterie, et que la grande distribution elle-même les rejette ! Il est intéressant de voir que la société est à l’avant-garde par rapport à ses représentants. Autre exemple : lors du Grenelle de l’environnement il y a 12 ans, l’une de nos ambitions premières était le développement du « bio ». Nous avions été assez violemment attaqués, au motif que ça n’intéressait que les bobos parisiens, que ça coûtait un œil, que ce n’était pas applicable, etc. Aujourd’hui les linéaires des grandes surfaces sont pleins de produits bio. On peut en discuter l’origine, le prix trois fois supérieur à ce qu’il devrait être, le fait que ça coûte très cher en CO2, mais enfin la démarche est engagée !

ANES : Cette évolution facilite les rapport avec le monde de l’agriculture ?

Allain Bougrain-Dubourg : La présidente actuelle de la FNSEA est moins radicale que son prédécesseur, ça ne signifie pas que tout est réglé, loin de là ! Je le vois notamment au Conseil économique, social et environnemental (CESE) : chaque fois que l’on travaille sur l’environnement, ou la nature en ville, ou l’éducation au développement durable, iles représentants de la FNSEA nous mettent en garde : si vous écrivez tel ou tel élément, on s’abstiendra ou on votera contre. Alors par politesse, on se retient d’écrire tel ou tel élément. Et à l’arrivée… ils s’abstiennent ou ils votent contre ! Malgré tout, je crois à la rencontre des hommes, des gens, des individus, des intelligences qui peuvent se conjuguer dans l’intérêt collectif. Prenons l’exemple de la viticulture : peut-être sont ils condamnés à bouger tellement ils sont montrés du doigt, mais je vois qu’il y a vraiment une volonté de trouver des solutions écologiques, jusqu’à mettre des aménagements accueillant les chauves souris, ou les huppes, ou les rapaces nocturnes pour lutter contre des espèces à problèmes dans la production. C’est complètement nouveau cette démarche et c’est tout-à-fait créatif !

ANES : Quels sont les objectifs de la LPO pour les années à venir ?

Allain Bougrain-Dubourg : Faire la démonstration qu’on peut enrayer le déclin de la biodiversité, ce serait une grande victoire ! J’ai vécu Nagoya qui devait stopper ce déclin il y a plus de 10 ans. On avait une certaine confiance dans cette idée, il y avait semblait-il une prise de conscience avérée, et on se rend compte qu’il y a un mépris scandaleux, qui pour moi s’apparente à un crime contre l’humanité, tant il est vrai qu’on dépend de ce vivant pour survivre. Notre idée est d’arriver à démontrer par la gestion des milieux naturels, par des comportements nouveaux qu’on on peut stopper le déclin. Nous voulons conduire des actions concrètes, tangibles : notre site Faune France –qui est essentiellement géré par la LPO mais ouvert à d’autres- rassemble plus de 56 millions de données, dont 9 millions collectées en 2017 ! Nous avons fait par ailleurs une étude qui montre qu’1 € confié à la LPO génère plus de 20 € de retombées économiques. Nous ne sommes pas de doux rêveurs, nous sommes à 100 % dans l’action, dans le concret, et dans la réalité économique !

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko