Trois questions à Léa Giraud, Responsable de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) Grands Causses
ANES : Dans un rapport récent, la LPO explique que 24% des cas de mortalité des vautours dans les Pyrénées sont dus au poison. Comment cela se passe-t-il exactement ?
Léa Giraud : Le taux de mortalité dû au poison varie selon les régions : dans les Pyrénées, c’est effectivement la première cause de décès des vautours, mais dans la région du Massif central, par exemple, il s’agit de l’électrocution sur les lignes électriques. Il n’en reste pas moins que l’empoisonnement est une menace importante pour les vautours. Historiquement, c’était l’une des méthodes les plus utilisées jusque dans les années 1900 pour tuer directement les vautours, ce qui a amené les espèces au bord de l’extinction. Aujourd’hui, les rapaces sont plutôt des victimes collatérales de l’utilisation de produits toxiques illégaux. Parmi ceux-là, le plus carbofuran est le plus utilisé, bien qu’il soit interdit de vente et d’utilisation en France depuis 2008. C’est à la base un insecticide, mais il est aussi utilisé sous formes de petites boulettes de nourriture toxiques pour tuer la petite faune sauvage qui dérange, comme les renards ou les blaireaux. Les vautours, qui sont des charognards, viennent manger les cadavres des animaux empoisonnés, et les molécules toxiques perdurant très longtemps, elles contaminent les rapaces qui meurent une ou deux heures après. Mais ce procédé est non sélectif, donc il n’y a pas que les vautours qui en pâtissent ! C’est un désastre environnemental beaucoup plus large. Même les humains sont concernés. C’est la question sanitaire plus globale de l’utilisation des pesticides…
ANES : Quelles solutions propose la LPO ?
L.G : Déjà, afin de mesurer précisément la part du poison dans la mortalité des vautours,la LPO effectue une veille toxicologique à travers son Réseau Vigilance Poison, qui fonctionne à peu près de la même manière que le réseau toxicologique national piloté par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (Oncfs). Nous identifions les causes de mortalité sur tous les rapaces retrouvés morts. Des vétérinaires compétents réalisent des autopsies et des radiographies et récoltent des échantillons qui sont envoyés et analysés dans des laboratoires. Aujourd’hui, nos efforts de travail sur la thématique de l’empoisonnement portent beaucoup sur la sensibilisation du grand public, des élus et des services de l’Etat ; à travers par exemple des rapports comme celui qui vient de sortir sur les Pyrénées. On travaille aussi étroitement avec le réseau de vigilance de l’Oncfs : on veut insister davantage auprès du gouvernement pour que des moyens soient mis dans les enquêtes sur les empoisonnements de la faune sauvages, qui sont des opérations très lourdes. Il y a encore trop peu de budget et de compétences en place. Il faut aussi sensibiliser les procureurs sur cet enjeu-là, afin que cela devienne une priorité, et que ces enquêtes débouchent sur une procédure juridique. Théoriquement, les peines pour empoisonnement sont énormes : 2 ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende. Mais jusqu’ici, nous n’avons pas d’exemple concret de peine mise en place. Il y a des modèles à suivre, notamment celui de l’Andalousie, en Espagne, qui a fait beaucoup d’efforts pour lutter contre l’empoisonnement des vautours. L’Etat a été mobilisé, les polices de l’environnement se sont formées, et vont peut-être bientôt former les nôtres. Des brigades de chiens formés à la recherche de poison ont été mises en place, et les enquêtes aboutissent à des peines concrètes.
ANES : La LPO travaille par ailleurs sur un programme « munitions sans plomb » : de quoi s’agit-il ?
L.G : A partir de radiographies faites sur des cadavres,on s’est rendu compte que le tir direct n’était pas une cause de mortalité majeure pour les vautours, mais que l’ingestion de plomb de munitions, facteur d’empoisonnement, en était une. Avec le Parc National des Cévennes, dans le cadre du programme LIFE Gypconnect, qui concerne le gypaète barbu, on a mis en place une action de munitions sans plomb sur une saison de chasse. En partenariat avec la Fédération de chasse de Lozère, une quarantaine de chasseurs sont impliqués dans cette expérimentation qui permettrait de rendre leur pratique moins impactante pour l’environnement. Il a fallu recalibrer leurs armes. Les premiers retours sont satisfaisants, en tout cas du côté des chasseurs, qui trouvent ces munitions performantes, malgré leur coût.
Propos recueillis
Par Jean-Baptiste Pouchain