Trois questions à Georges Feterman, président de l’association A.R.B.R.E.S.
ANES : L’Association A.R.B.R.E.S., que vous présidez, demande la modification de l’article 673 du Code civil, qui indique que « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent », et que ce droit « est imprescriptible ». Pourquoi changer cet article ?
Georges Feterman : nous demandons deux choses, en fait. D’abord la reconnaissance des arbres remarquables comme éléments du patrimoine national et, en effet, la correction de cet article 673, qui fait primer le droit de propriété sur le statut d’être vivant de l’arbre. Cet article autorise un propriétaire à couper tout ce qui dépasse chez lui : les branches, mais aussi les racines et éventuellement le tronc. On nous a rapporté de très nombreux cas où l’exercice –abusif, mais légal- de ce droit a conduit à des catastrophes pour l’arbre concerné. Nous ne demandons pas la suppression pure et simple de cet article, que nous aurions peu de chances d’obtenir, mais nous souhaitons qu’il soit tempéré par la reconnaissance du fait qu’après une certaine durée de vie, un arbre doit être préservé à l’endroit où il se trouve. Evidemment, dès que l’on avance un peu dans la précision juridique, on en arrive très vite à la définition d’un statut de l’arbre. C’est un domaine dans lequel la France, sans doute en raison de son vieux fond rural qui fait de l’arbre un bien au service exclusif de l’homme, est très en retard par rapport à des Etats voisins, tels que la Belgique, la Suisse ou l’Allemagne.
ANES : L’autre point, donc, c’est le caractère patrimonial des arbres remarquables. Mais si un arbre est un être vivant, donc destiné à mourir, comment en faire un élément du patrimoine national ?
Georges Feterman : Alain Baraton, le jardinier en chef du parc de Versailles, qui est lui-même signataire de notre appel, a répondu récemment à cette question, en faisant valoir que certains arbres remarquables ont une durée de vie qui dépasse le millénaire, équivalente sans doute à celle de bien des monuments de pierre, dont la pierre elle-même finit par se déliter pour des raisons géologiques voire biologiques ! Evidemment, il est très difficile de déterminer quel arbre est patrimonial et quel autre ne l’est pas. On ne peut pas fixer de critère d’âge : celui-ci varierait selon les espèces, selon les régions. A 200 ans un chêne est dans la force de l’âge, alors qu’un hêtre est déjà vieillissant… Il faut admettre que l’appréciation est forcément subjective. Dans ce qui constitue le caractère patrimonial d’un arbre remarquable, une part est évidemment biologique, mais la plus grande part entre dans le domaine culturel !
ANES : Mais s’il est impossible de fixer des critères, cela risque de générer une insécurité juridique à l’égard des exploitants forestiers. Comment savoir si tel arbre peut être coupé, tel autre non ?
Georges Feterman : Le plus gros exploitant forestier de France, l’Office national des forêts, y est bien arrivé ! Nous avons signé avec l’ONF une convention de partenariat, qui liste notamment 300 arbres remarquables qui sont de ce fait protégés, qui ne seront jamais exploités, et qui sont surtout sécurisés. Pour l’ONF il est essentiel que le public puisse sans danger approcher ces monuments naturels. Faire échapper ces arbres à l’exploitation par l’homme, c’est faire progresser l’idée que la protection de la nature et des espèces ne répond par seulement à une vision utilitariste, mais que ces espèces ont une valeur pour elles-mêmes, que nous soyons là ou pas. Dire qu’il faut protéger les forêts parce qu’on y trouvera peut-être les médicaments de demain, c’est un discours qui me paraît dépassé : il faut protéger les forêts, les arbres, pour eux-mêmes, pour leur valeur propre, et parce que ce sont, avant tout, des êtres vivants !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko