« En Ardèche, un arrêté préfectoral rouvre les hostilités »

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Trois questions à Marie-Paule de Thiersant, Présidente de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Auvergne-Rhône-Alpes

ANES : la LPO Auvergne-Rhône-Alpes a vivement réagi à un arrêté du préfet de l’Ardèche qui classe le pigeon ramier parmi les espèces « nuisibles ». Quel est l’enjeu de cette décision ?

Marie-Paule de Thiersant : Il y a en Ardèche deux populations de pigeons ramiers –appelé aussi « palombe », notamment dans le sud-ouest-, une population sédentaire, qui se reproduit toute l’année dans le département et qui se porte plutôt bien, et une population migratrice, dont nous estimons qu’elle n’est pas en très bon état. Le préfet vient de publier un arrêté qui classe indistinctement les deux populations dans la catégorie « nuisibles » jusqu’au 30 juin de cette année, dans la quasi-totalité du département, et qui autorise par conséquent qu’on les chasse. Cet arrêté rouvre en fait un dossier ultra-sensible, que les décisions courageuses des prédécesseurs de ce préfet avaient apaisé : celui des chasses de printemps. En termes ornithologiques, l’enjeu est double : il porte d’abord sur la population migratrice de pigeons ramiers, qui reste à nos yeux vulnérable, mais aussi sur toutes les autres espèces migratrices qui passent par les cols ardéchois dans leur migration printanière. Même s’ils ne sont pas directement chassés, ces oiseaux subissent un dérangement et un stress lié aux tirs. Ils sont contraints de dévier de leur route, ce qui occasionne on surcroit de dépense d’énergie et peut menacer leur survie ou à tout le moins leur reproduction. Il s’agît des cigognes, des milans, des circaètes, des balbuzards, des grues…

ANES : Qu’est-ce qui a motivé ce classement ?

Marie-Paule de Thiersant : Il y a depuis très longtemps une très forte pression des chasseurs ardéchois pour pouvoir chasser la palombe au printemps, alors que cette espèce est déjà chassable sans restriction de septembre à janvier ! Il est clair que le préfet a cédé à cette pression et à celle des élus. Officiellement, l’arrêté motive le classement par le fait que les pigeons ramiers seraient à l’origine de dégâts aux cultures, en particulier aux cultures céréalières à ce stade de leur maturation. Mais la liste des communes concernées, qui couvre pratiquement tout le département, est sans commune mesure avec la réalité de l’agriculture ardéchoise. Certaines communes ne comportent strictement aucune parcelle céréalière, et elles figurent dans la liste ! Il s’agît en fait d’une opération de lobbying des chasseurs, qui ont rassemblé des témoignages d’agriculteurs sur lesquels le préfet s’est appuyé. Combien de témoignages ? Nous n’en savons rien : le préfet ne nous les a pas communiqués, en dépit de notre demande. Il faut savoir que ce dossier est ultra-sensible en Ardèche, où des affrontements violents se sont produits depuis plus de vingt ans entre chasseurs et ornithos, notamment au col de l’Escrinet. Le préfet le sait bien, puisque paradoxalement, alors que les communes de l’Escrinet figurent dans la liste, il a pris trois jours plus tard un nouvel arrêté pour interdire la chasse autour du col, en raison des risques de troubles à l’ordre public !

ANES : ce deuxième arrêté ne vous satisfait donc pas ?

Marie-Paule de Thiersant : non, car si la chasse est interdite à l’Escrinet, elle reste autorisée sur tous les autres cols du département, la Fayolle par exemple. Pour la LPO, c’est un dossier d’importance nationale, et nous avons demandé à notre avocat d’étudier un recours en référé contre ce classement du pigeon ramier en espèces nuisible, qui contrevient clairement à la directive « oiseaux » de l’Union européenne. J’ai aussi indiqué au préfet que dès lundi, comme chaque année, les salariés et les bénévoles de la LPO seront sur place pour effectuer des comptages sur l’ensemble des espèces migratrices, et qu’il porte la responsabilité de leur sécurité. Pourquoi raviver ces braises alors que, depuis une décision préfectorale de 2012 la situation était apaisée en Ardèche ?

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko