La contamination de l’environnement par les pesticides est bien réelle, tout comme leur impact négatif sur la biodiversité et les écosystèmes, selon un rapport rendu jeudi par l’Inrae et l’Ifremer, deux instituts de recherche publics spécialistes de l’agriculture et de la mer.
« Notre objectif avec une expertise de ce type, c’est de rendre visible, intelligible, pour les décideurs publics, l’ensemble des connaissances pour éclairer les décisions et améliorer la réglementation », a expliqué lors d’une conférence de presse Thierry Caquet, directeur scientifique Environnement de l’Inrae. Réalisée à la demande de trois ministères (Transition écologique, Agriculture, Recherche), cette méta-analyse a mobilisé pendant deux ans une quarantaine d’experts qui ont passé en revue quelque 4.000 études scientifiques déjà publiées, dans un contexte français ou comparable, pour faire une synthèse des connaissances sur l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les écosystèmes. Elle intervient dans un contexte de réflexion sur l’usage des pesticides. Depuis le Grenelle de l’environnement fin 2007, qui avait fixé un objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides de synthèse en dix ans, les plans successifs ont échoué. Au niveau de l’UE, une proposition est à l’étude pour réduire de moitié l’usage de pesticides à échéance 2030. Les derniers rapports de ce type dataient de 2005 et 2008. Aujourd’hui « l’image est beaucoup plus précise de cette contamination, du fait notamment de la densification des réseaux de surveillance, mais aussi de l’amélioration des techniques d’échantillonnage ou d’analyse », explique Wilfried Sanchez, directeur scientifique adjoint de l’Ifremer. Le constat : une contamination qui touche tous les milieux, concerne non seulement une variété de substances actives mais aussi les produits de transformation, les adjuvants et les co-formulants, même si ces derniers sont moins recherchés. La concentration est retrouvée principalement au niveau des zones agricoles, là où sont utilisés les produits, et se diffuse « le long du continuum terre-mer pour atteindre les océans, avec une diminution des concentrations par un effet de dilution », décrit M. Sanchez. La contamination peut perdurer, même si elle diminue dans le temps, comme le montre la présence parfois persistante de produits aujourd’hui interdits (par exemple DDT, lindane, diuron). Et s’il existe différents facteurs affectant la biodiversité (dérèglement climatique, exploitation des ressources, modification et destruction des habitats naturels), « les études disponibles publiées ces 20 dernières années permettent d’affirmer de manière robuste que les produits phytopharmaceutiques sont une des causes majeures du déclin de certaines populations »,souligne Stéphane Pesce, de l’Inrae.
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Parmi les espèces affectées, on retrouve par exemple des invertébrés terrestres, dont des insectes pollinisateurs comme les abeilles ou des coléoptères prédateurs de certains ravageurs, ainsi que des oiseaux. Certains des produits de synthèse « contribuent fortement au risque » d’extinction qui pèse sur 9 à 15% des espèces recensées en Europe, a-t-il insisté. Chauve-souris et amphibiens sont également affectés. L’étude met aussi en valeur les effets sublétaux — qui perturbent le fonctionnement des organismes sans entraîner une mort rapide –, objets de recherche récentes : pertes d’orientation, déficiences immunitaires, mais aussi modifications comportementales. Les effets indirects sont aussi « de mieux en mieux caractérisés », note M. Pesce. L’originalité du rapport tient aussi dans la prise en compte de la contribution des différentes espèces « au bon fonctionnement des écosystèmes »: par exemple la pollinisation ou la lutte contre les ravageurs, deux « services négativement impactés » par les pesticides. Les experts ont pu identifier des « leviers » pour réduire l’impact des pesticides, outre la réduction de leur utilisation qui fait l’objet d’autres travaux, a indiqué Laure Mamy, directrice de recherche à l’Inrae. Tenir compte des conditions météorologiques (ne pas traiter en cas de vent fort ou de pluie), agir au niveau du sol comme avec la présence d’une couverture pour éviter la diffusion ou à l’échelle du paysage en aménageant des zones tampons, sèches ou humides, sont des pistes avancées. Le biocontrôle, via des mécanismes naturels (coccinelles, bactéries, médiateurs chimiques, substances naturelles), est mis en avant, « alternatives prometteuses » mais sur lesquelles il manque encore beaucoup de connaissances, a noté Mme Mamy. Malgré l’existence de ces milliers d’études, le rapport montre des lacunes « encore importantes » dans les connaissances et appelle à d’autres recherches prenant en compte ensemble tous les impacts.