Le tribunal judiciaire de Libourne a examiné jeudi 17 décembre l’assignation par les vins de Bordeaux d’une association qui dénonçait la présence, dans des vins certifiés HVE, de résidus de pesticide, en quantité toutefois basses et conformes.
Le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) — associé à 25 châteaux, viticulteurs, syndicats d’appellations, négociants — poursuit au civil Valérie Murat, porte-parole de l’association Alerte aux Toxiques, qui lutte en Gironde contre les phytosanitaires en viticulture. En septembre, l’association dénonçait la présence de résidus de pesticides de synthèse dans 22 vins (dont 19 Bordeaux) certifiés Haute valeur environnementale (HVE), sur la base d’une étude financée par financement participatif.
Cette présence était toutefois faible et légale, selon le laboratoire lui-même, qui avait pris ses distances d’avec la présentation par Alerte aux toxiques de ses résultats. Mme Murat qui dénonçait ainsi une viticulture HVE « encore gourmande en pesticides« , a pointé le 17 décembre un « label (HVE) trompeur pour le consommateur« , avec son « joli logo papillon soleil bosquet« , mais qui « permet à des gens qui voudraient faire croire qu’ils ont pris un virage écologique, qu’ils changent leurs pratiques, de continuer en fait à utiliser des pesticides de synthèse parmi les plus dangereux« .
Le HVE est une norme française créée en 2012 par le ministère de l’Agriculture, qui encourage et reconnait les efforts des exploitations agricoles pour réduire les pesticides et engrais chimiques, augmenter la biodiversité, gérer l’eau, mais n’interdit pas l’absence de pesticides de synthèse. Il est souvent associé par ses détracteurs à un label de « greenwashing« . Le CIVB qui avait stigmatisé « une escroquerie intellectuelle« , a rappelé les réserves du laboratoire Dubernet. Il a souligné que les vins mis en cause étaient « en parfaite légalité » et les concentrations détectées « très faibles, toujours très en-dessous » des seuils.
Pour l’interprofession, Mme Eve Duminy a plaidé un « dénigrement qualifié » par Valérie Murat qui n’a fait preuve d' »aucune mesure, aucune nuance, aucune prudence« , en associant dans sa présentation les vins « à un risque mortel » potentiel, avec une « intention malveillante« . Mme Murat est la fille d’un vigneron décédé en 2012 d’un cancer reconnu comme maladie professionnelle. Il avait été exposé pendant plus de 40 ans, à un produit utilisé dans les traitements contre une maladie de la vigne, et interdit en France depuis 2001. Une procédure au pénal est en cours. « Le droit d’alerte, de critiquer, existe et doit exister, mais ne doit jamais se confondre avec un droit de dénigrer », selon Me Duminy. Le CIVB arguant un « discrédit très lourd aux vins de Bordeaux« , réclame 100.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice collectif, le retrait de la communication de septembre sous peine de 5.000 euros par jour.
Les autres plaignants réclament des dommages et intérêts allant d’un euro symbolique à plusieurs milliers d’euros. M. Eric Morain, seul avocat défendant la militante anti-pesticides face à une demi-douzaine d’avocats pour le monde du vin, a mis en garde contre un « procès bâillon » qui viserait à étouffer financièrement et faire taire une association dont « on ne veut pas entendre les éléments de vérité et de bonne foi« . La « présence, même infinitésimale« , de résidus de pesticides reste une présence. « Le vin est le seul produit humain ou alimentaire sur lequel ne figure pas la composition. Est-ce un hasard ? C’est volontaire ! Car on ne veut pas dire ce que Valérie Murat et Alerte aux Toxiques ont dénoncé« , a-t-il lancé. Le jugement a été mis en délibéré au 25 février.