Par 313 voix (LR et LREM) contre 158, les députés ont adopté mardi 6 octobre le projet de loi de dérogation sur les néonicotinoïdes, interdits d’utilisation en France depuis le 1er juillet dernier. Les betteraviers réclamaient une exception pour protéger leurs betteraves de la jaunisse transportée par un puceron.
Respecter une promesse environnementale ou sauver l’emploi sur fond de crise économique ? Les députés ont tranché, le texte doit maintenant être examiné par le Sénat. Avec son projet de loi permettant le recours temporaire et encadré à des insecticides néfastes pour les abeilles, le gouvernement est accusé de brouiller son message sur la transition écologique. Une exception qu’il justifie par la sauvegarde d’une filière qui emploie 46.000 personnes dont 25.000 agriculteurs.
Un hiver et un printemps trop chauds : en raison de la prolifération d’un puceron vert vecteur de la maladie qui affaiblit les plantes dans de nombreuses régions, les betteraves issues de semences non enrobées d’insecticide sont atteintes de « jaunisse ». La réintroduction de semences enrobées avec des néonicotinoïdes doit permettre de protéger les rendements sucriers. Ce type de pesticide avait été interdit en 2018. Le gouvernement se voit obligé de revenir sur cette interdiction, en en s’appuyant sur le règlement européen sur les phytosanitaires permettant de déroger à l’interdiction en l’absence d’alternative.
« C’est une question de souveraineté« , met en avant le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, alors que 11 pays producteurs ont en Europe autorisé les dérogations pour les néonicotinoïdes. « Nombre de planteurs, en ce moment même, hésitent à replanter des betteraves » et « si les sucreries ferment, c’est toute la filière de la betterave qui peut disparaître en une ou deux saisons« , fait valoir le ministre. C’est lui qui sera présent dans l’hémicycle où plus de 130 amendements seront débattus, et non la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, qui avait elle-même porté en 2016 la loi interdisant ces insecticides et appuie désormais cette réautorisation ciblée.
Pour le gouvernement, qui pourra compter sur le soutien des LR, le projet de loi n’est pas « un renoncement écologique« . Il programme « la fin des néonicotinoïdes » à l’horizon 2023, souligne le rapporteur LREM du texte, Grégory Besson-Moreau. Pour le député de l’Aube où se trouve l’une des plus grosses sucreries d’Europe, « personne ne nie les dangers de cette substance« . Dans un entretien à Reporterre, Jean-Marc Bonmatin, toxicologue expert des néonicotinoïdes revient sur plus de 20 ans de recherche sur la nocivité de ces molécules. Pour lui, elle n’est plus à démontrer et craint que le projet de loi introduisant des dérogations à leur interdiction permette leur retour dans les champs. « Dès que l’on utilise ce pesticide, on en met largement partout. Dans le cas de la dérogation, c’est toute une région qui va être traitée. Du sud de Paris jusqu’à la Picardie », explique-t-il. « Par ailleurs, si on donne une dérogation aux betteraviers, les maïsiculteurs, les céréaliers aussi vont en demander une. Si on ouvre la porte, les néonicotinoïdes vont revenir en force. On a une loi, adoptée en 2016, qui s’appliquait à partir de 2018 sans dérogation possible en 2020. Et c’est juste quand on y arrive qu’on fait une nouvelle dérogation ? En fait, la biodiversité n’aura pas eu trois mois pour récupérer. Alors que tous les articles scientifiques sont catastrophés de la vitesse à laquelle la biodiversité dégringole. »