La Cour de Cassation persiste et signe : les chasseurs d’ortolans ou de pinsons du Sud-Ouest ne peuvent pas invoquer « la tradition » pour s’autoriser à enfreindre la loi et capturer ces oiseaux protégés.
Dans une série d’arrêts quasi-similaires à une première vague rendue en octobre dernier, la plus haute institution judiciaire a donné une nouvelle fois tort mardi 14 mai à une douzaine de chasseurs des Landes qui avaient été condamnés à des amendes par la Cour d’appel de Pau en avril 2018. Les faits remontaient à l’automne 2015, quand ils avaient été surpris en train d’utiliser des matoles, petits pièges pour capturer vivants pinsons et/ou ortolans considérés par certains dans le Sud-Ouest comme des mets raffinés et traditionnels. Mais la Cour a rejeté l’invocation d’une tradition, estimant notamment que les chasseurs ne pouvaient se prévaloir d’un certain « consensus » ou d’une « quelconque tolérance » des autorités alors que cette chasse est « totalement interdite » depuis 2013. La Cour « confirme à nouveau que la ‘tolérance’ qui avait servi de prétexte aux exactions des braconniers pendant des décennies n’a pas de fondement juridique« , s’est félicité dans un communiqué la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), à qui chaque chasseur devra verser 500 euros de dédommagement. « Malheureusement, les matoles … sont toujours autorisées par dérogation dans quatre départements du Sud-Ouest (Gironde, Landes, Lot-et-Garonne et Pyrénées-Atlantiques), officiellement pour piéger les alouettes« , poursuit la LPO qui « conteste cette pratique » et affirme que ces pièges sont aussi utilisés « pour capturer d’autres oiseaux, et en particulier des pinsons (pour la consommation personnelle ou la restauration comme pour l’ortolan), mais aussi des oiseaux chanteurs comme les linottes ou les chardonnerets« . En octobre dernier, la Cour de Cassation avait fait les mêmes constatations et rejeté les pourvois de 11 chasseurs, condamnés un an plus tôt par la Cour d’appel de Pau. « La tolérance administrative à l’égard d’une pratique locale traditionnelle invoquée » n’est pas « de nature à mettre à néant une interdiction édictée par la loi« , avait estimé la Cour. La France avait été avertie à plusieurs reprises par Bruxelles, et renvoyée devant la Cour de justice européenne, pour la persistance de la chasse à l’ortolan, à la population en déclin de 20 à 30% entre 2000 à 2014, selon une étude scientifique de 2016. Mais en novembre 2017, la Commission européenne avait mis fin à la procédure d’infraction contre la France, estimant que Paris s’était finalement conformé à la législation européenne de la directive Oiseaux à propos du bruant ortolan, Emberiza hortulana de son nom scientifique.
Par aillerus, une étude publiée mercredi 22 mai par des spécialistes européens dans une grande revue scientifique américaine, Science Advances, dissipe tout doute sur la trajectoire condamnée du petit Bruant ortolan si le braconnage se poursuit. « Si on continue à chasser l’ortolan, on fera disparaître l’ortolan, et la chasse à l’ortolan« , dit à l’AFP Frédéric Jiguet, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, et auteur principal de l’étude. C’est ce chercheur qui avait déjà mené une étude commandée par le ministère de l’Environnement pour arbitrer le conflit entre l’Etat et les chasseurs sur une base scientifique. Cette étude-là, publiée en 2016 et financée en partie par la fédération des chasseurs des Landes, avait estimé la population d’ortolans transitant par la France, et son déclin à 20 à 30% entre 2000 et 2014. Dans la suite publiée mercredi, les scientifiques sont allés plus loin et ont calculé le risque d’extinction selon plusieurs scénarios démographique. Le plus optimiste conduirait à un risque d’extinction de 66% d’ici 100 ans, si le braconnage était réduit de 15.000 oiseaux par saison (une ancienne étude estimait à 30.000 le nombre d’ortolans chassés par an en France, et c’est le nombre que réclamaient les chasseurs dans une demande de dérogation en 2013). « Prélever 30.000 oiseaux en automne parmi ceux qui passent en France, c’est une part non négligeable de contribution au déclin de l’espèce« , dit Frédéric Jiguet. Comme tous les oiseaux des champs, les ortolans sont aussi victimes de l’agriculture moderne, de la baisse des populations d’insectes, des pesticides… Mais la chasse joue bien un rôle considérable. « L’arrêt de la chasse donnerait en moyenne deux fois plus de chances à l’ortolan de s’en sortir, résume Frédéric Jiguet. Cela ne va pas forcément le sauver. Après, il faudrait changer le modèle agricole« .
L’oiseau pèse 20 grammes et se croque entier, juteux et brûlant, le visage derrière une serviette. « Je commence déjà à avoir de la graisse sur la figure, c’est ça qui est pas joli« , commentait la célèbre présentatrice culinaire Maïté dans une démonstration télévisée en 1987. « Je commence à le prendre, et à lui sucer le derrière (…) Ah là… c’est bon« . Beaucoup, notamment en dehors de la France, avaient découvert ce mets en lisant que l’ancien président François Mitterrand, pour son dernier réveillon de la Saint-Sylvestre, en 1995, avait participé à un repas où furent servis des ortolans (Le dernier Mitterrand, Georges-Marc Benamou). L’Etat français a longtemps fait preuve d’une grande indulgence envers les chasseurs d’ortolans. La directive européenne Oiseaux protège l’oiseau depuis 1979. Mais de multiples gouvernements français ont refusé de l’inscrire sur la liste des espèces protégées, avant de céder en 1999 après une décision du Conseil d’Etat. Dans les Landes, l’interdiction théorique s’est transformée pendant des années en tolérance de fait de la préfecture (moyennant un nombre limité de pièges et de prises), malgré la pression de Bruxelles, qui est allée jusqu’à une plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne en 2016. En 2015, une photo virale sur internet avait immortalisé le conflit entre la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et les braconniers: des membres de l’association, dont son président, Allain Bougrain-Dubourg, avaient tenté de détruire des pièges, des cages appelées matoles. Un homme en slip les avait poursuivis en brandissant une pelle. Le feuilleton judiciaire se poursuit. Interrogé par l’AFP mercredi, Frédéric Dutin, avocat de l’Association départementale (Landes) des chasses traditionnelles à la matole, réclame « le rétablissement d’une ‘tolérance’ strictement réglementée pour permettre précisément d’observer les conditions d’évolution de la population des ortolans« . Mais selon Frédéric Jiguet, les études scientifiques récentes « ont aidé le gouvernement à prendre des décisions, et les chasseurs à les accepter« .