Mes projets pour l’AFB.
ANES : l’Agence existe depuis le 1er janvier. Qu’est-ce qui a changé le 31 décembre à minuit ?
Christophe Aubel : les quatre établissements qui constituent ensemble l’AFB n’existent plus, c’est désormais l’AFB qui porte leurs missions. Ca c’est la réalité. Au-delà, il ne s’est évidemment rien passé de spectaculaire dans la nuit du 31 décembre ! Mais déjà pour que tout fonctionne dans ce nouveau cadre à partir du 1er janvier, il a fallu conduire en amont un travail intense sur la nouvelle gouvernance, sur les procédures administratives, la préparation des actions… Faire en sorte, par exemple, que tout le monde soit payé à la fin du mois ! En terme de communication, nous avons mis en place un site internet (www.afbiodiversite.fr), qui devra évidemment évoluer, le logo de l’Agence est en cours de consultation chez les agents et sera prêt pour le premier conseil d’administration qui se réunit le 19 janvier. J’insiste sur ce point : souvent quand on crée un établissement public, il s’écoule plusieurs mois entre la création et la première réunion du conseil d’administration. Là, c’est 19 jours ! Cela montre que nous voulons être opérationnels tout de suite même si, bien sûr, le fait que les équipes soient déjà en place, qu’elles continuent à travailler sur leurs missions passées, facilite grandement le démarrage
ANES : ces missions restent les mêmes ?
Christophe Aubel : en dehors des missions nouvelles que l’Agence portera, il y a évidemment une continuité dans les missions « historiques » des quatre établissements. On ne va pas arrêter du jour au lendemain de faire ce que chacun faisait bien, et qui doit toujours être fait ! Mais même sur ces missions historiques, le changement de cadre aura son importance : jusque-là on avait des structures qui travaillaient en silo, chacune avec sa logique, sa culture, sa gouvernance, ses sujets : le terrestre d’un côté, la mer de l’autre… Instiller de la transversalité, des synergies ne peut faire que du bien ! Cela nous conduira peut-être, dès cette année, à infléchir certaines de ces missions : le cadre nouveau, les 50 ETP (équivalent temps plein)- qui vont venir renforcer nos équipes nous permettront sans doute d’envisager autrement ces dossiers. Mais au-delà de ces missions, le grand défi de la création de l’Agence c’est d’être le levier qui permettra aux enjeux de la biodiversité de prendre la place qui leur revient dans la société. Sa création marque une prise de conscience, qui vient après d’autres : le Grenelle, la loi de reconquête de la biodiversité portée par les Ministres.
ANES : ça ne se fera pas d’un coup…
Christophe Aubel : laissons-nous deux ou trois ans. Est-ce que dans deux ou trois ans la prise en compte de la biodiversité dans les décisions publiques et privées aura significativement progressé ? Ou à tout le moins, la société sera-t-elle réellement convaincue de la nécessité de la prendre en compte ? Si je fais une analogie avec la question climatique, on constate que la conscience des enjeux climatiques est réellement présente… même si parfois on continue malgré tout à prendre des décisions qui n’en tiennent pas suffisamment compte. Si la création de l’Agence permet nous permet dans un avenir proche d’en être au même point, nous n’aurons pas perdu notre temps !
ANES : l’Agence portera aussi des missions nouvelles ?
Christophe Aubel : 2017 sera évidemment une année de transition. Elle nous permettra de travailler, avec notre tutelle (le ministère de l’écologie) sur notre contrat d’objectif, qui devrait être adopté, au mieux, en 2018. Il faut nous laisser le temps de construire la nécessaire culture commune entre les membres des structures qui se sont rapprochées, D’ici là, nous aurons une feuille de route qui sera examinée en mars par le conseil d’administration, et dans laquelle nous déterminerons nos priorités immédiates parmi les nouvelles missions que nous affecte la loi. Par exemple, nous avons désormais en charge la stratégie nationale de la biodiversité. C’est nouveau, car si les quatre établissements fusionnés y concouraient, ils n’étaient pas chargés de l’animation du dispositif d’engagement . Ca, il faudra que ce soit opérationnel dès cet année, . Nous allons également, dès cette année, prendre en charge l’Observatoire national de la biodiversité. Nous allons créer très vite avec le Muséum et le CNRS une unité mixte de service sur l’expertise, qui prendra le relais de l’actuel SPN (Service du patrimoine naturel). Pour cela, 75 personnes du Muséum vont nous rejoindre, ainsi d’ailleurs que des membres de la Fédération des conservatoires botaniques. Sur les parcs naturels marins, certes nous n’allons pas tout inventer puisqu’il en existe déjà, mais le PNM de Corse vient tout juste d’être créé, il reste énormément de choses à mettre en place, et le PNM de Martinique arrive… Toutes ces missions, nous les avons prises à bras-le-corps, mais il faut aussi que chacun comprenne que pour être efficaces et performants à l’avenir, nous devons avant tout réussir cette année de transition, réussir à faire exister notre culture commune, notre communauté de travail.
ANES : mais des axes de travail avaient déjà été annoncés en septembre dernier. Ils sont confirmés ?
Christophe Aubel : bien sûr ! Nous les préciserons au cours du conseil d’administration du 19 janvier : il y a notamment un volet sur la sensibilisation du grand public, sur la communication. Pas la communication sur l’agence ! Mais sur le caractère indispensable de la biodiversité dans la société. Evidemment on va s’occuper de faune, de flore et de milieux naturels, mais on va s’en occuper parce qu’ils sont indispensables aux sociétés humaines, et c’est ce message-là que nous devons transmettre.
ANES : pourtant, les sciences de l’homme sont quasiment absentes de votre conseil scientifique tout neuf…
Christophe Aubel : pas complètement. Il y a de l’économie, du droit et tout ne se voit pas… Anne-Caroline Prévot par exemple travaille sur la psychologie de la conservation, même si de formation elle est écologue. Cela dit, avec un conseil scientifique de vingt personnes, on ne peut pas faire le tour de tous les sujets ! Mais ce conseil mettra en place des groupes de travail, qui pourront approfondir d’autres thématiques.
ANES : il y avait d’autres axes de travail…
Christophe Aubel : car la Ministre tient à ce que nous soyons dans l’action dès début 2017, en soutien des politiques du Ministère.
Nous allons apporter un soutien renouvelé aux atlas de la biodiversité communale, relancer des inventaires de la faune pélagique dans les outre-mers, nous voudrions aussi développer un réseau de sites pilotes en matière de restauration. Le génie écologique est une activité qui se développe, mais on ne sait pas toujours si ce qu’on fait fonctionne ! L’idée est de conduire des actions de restauration sur la base d’un protocole validé par des scientifiques qui permet d’avoir des indicateurs pour tirer des enseignements. Ca illustre le fait que l’Agence ne pourra pas tout faire toute seule : nous devrons très souvent agir en partenariat, en réseau. Nous allons autant faire que faire faire, et pour cela monter très vite des partenariats avec des acteurs importants… mais à ce stade je ne peux pas vous en dire plus. Primeur au conseil d’administration !
ANES : à quoi serviront les Agences régionales de la biodiversité ? Il est prévu que chaque Région puisse aménager l’outil comme elle l’entend, voire ne pas s’en doter. Ca ne va pas faciliter la lisibilité de l’ensemble…
Christophe Aubel : je pense exactement le contraire ! Avec cette souplesse, nous allons améliorer la lisibilité et l’efficacité. De toute façon la loi est très claire sur ce point : l’AFB peut proposer aux régions de créer une ARB mais les régions ont le choix d’accepter ou non. On ne peut pas les forcer. Nous allons évidemment les y inviter, des contacts sont déjà avancés, il n’est pas exclu que les premières conventions soient signées dès 2017. Il n’y a aucun modèle imposé, ni juridique ni en terme de missions, l’idée et de coller au territoire. Cela dit, pour signer des conventions, nous nous appuierons sur des principes auxquels nous ne dérogerons pas : les ARB devront travailler avec l’ensemble des acteurs ; on ne fera pas d’ARB qui se cantonne à des actions de communication, il faut aussi des actions concrètes. Dans les territoires, les acteurs sont multiples : les communes et leurs groupements ont des responsabilités, les départements aussi, les régions bien sûr… Les ARB devront dégager les synergies entre tous ces acteurs. Il y a pour cela trois actions à conduire avant tout : élaborer une stratégie régionale de la biodiversité, en cohérence avec la SNB, créer un conseil régional de la biodiversité, et enfin la création d’un ARB, qui pourra être le lieu de convergence concret de tout cela, en fonction de la réalité du terrain. Si telle région dit « ici, priorité à la restauration des pelouses sèches », le but est que tous les acteurs travaillent dans la même direction. Le législateur aurait pu décider de déléguer entièrement la biodiversité aux régions, ou à l’état ou… il a fait un autre choix : celui de permettre un foisonnement d’acteurs, assez cohérent avec la réalité de la biodiversité et de la diversité des territoires ! Mais les ARB vont permettre de mettre en synergie ce foisonnement.
ANES : la question des moyens de l’AFB a suscité quelques inquiétudes… 70 millions d’euros ont été prélevés sur le budget des Agences de l’eau, alors qu’ils auraient dû revenir à l’Agence…
Christophe Aubel : franchement, je pense que nous avons les moyens de démarrer nos missions. Le prélèvement dont vous parlez a été finalement plus limité que prévu, nous avons 50 postes en équivalent temps plein pour renforcer nos capacités. Ensuite, nous devrons mobiliser des moyens en fonction des projets : tout ne relèvera pas du budget propre de l’AFB. D’ailleurs la loi ouvre des perspectives complémentaires avec l’extension des missions des agences de l’eau à la biodiversité terrestre et marine, et il y a le Plan d’investissement d’avenir. Et puis, quand nous aurons fait nos preuves, quand nous aurons rendu l’Agence indispensable dans le paysage institutionnel, quand la société aura plus encore réalisé que la biodiversité c’est l’avenir nous pourrons viser d’autres moyens en fonction de nos objectifs.
ANES : projetons-nous au 1er janvier 2018. Vous regardez en arrière l’année écoulée : quelles sont les réalisations qui vous feront dire que vous avez bien travaillé ?
Christophe Aubel : la première sera interne. Si nous réussissons la mutation avec tout le monde, si nous créons une véritable communauté de travail, si nous nous dotons d’une culture commune « AFB », si nous partageons entre nous -1200 agents, ce n’et pas rien, hein…- des objectifs et des méthodes de travail, alors nous n’aurons pas perdu notre temps. Si au cours de cette première année, nous avons installé l’AFB dans le paysage, comme le sont aujourd’hui l’ADEME ou l’ANSES, si personne ne doute de notre utilité –même si bien sûr il peut y avoir débat sur nos orientations ou nos missions-, alors 2017 aura été une année réussie. Enfin, si nous avons pu commencer à faire progresser l’idée que la nature, la faune, la flore doivent certes être préservées pour elles-mêmes, mais aussi et surtout parce qu’elles sont indispensables à l’avenir, sinon à la survie de nos sociétés, alors franchement nous pourrons être contents de nous !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko