Dans une tribune publiée sur le site The Conversation, Romain Garrouste, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) montre que la déshérence de la taxonomie (qui décrit et classe l’ensemble des espèces vivantes) conduit à des impasses scientifiques. La preuve avec les pathogènes.
« Lorsque les organismes décrits ne sont pas « extraordinaires », ce qui est très fréquent, publier des découvertes taxonomiques dans des revues de renom se révèle ardu. Celles-ci ne s’ouvrent qu’aux taxons remarquables : un nouvel oiseau ou un mammifère dans une île perdue fera certainement un bel article au sein d’une revue renommée. À l’inverse, un nouvel insecte, même sous nos pieds, ne fera l’objet que d’une petite description dans une revue d’amateurs ou de société savante, sauf s’il possède une caractéristique unique.Leur intérêt biologique intrinsèque est pourtant le même : c’est pour cela qu’on l’on parle de « biais taxonomique ». Dans le cas des bactéries, ce biais semble s’exerce par rapport à la pathogénicité, c’est-à-dire à la capacité à provoquer une maladie : la découverte d’une bactérie non pathogène ou remarquable ne sera pas publiée dans une grande revue. Il est pourtant essentiel de publier dès que possible une découverte, quelle qu’elle soit. Établir un taxon, trouver ses relations de parenté (ce qu’on appelle la « position phylogénétique »), le placer dans l’arbre du vivant, constitue l’acte fondateur pour l’étudier et appréhender sa place dans son écosystème (comme, par exemple, celle d’une bactérie dans notre système digestif). Lorsqu’un organisme inconnu est découvert, connaître sa position phylogénétique permet de déduire une grande partie de ses propriétés biologiques. C’est tout aussi essentiel pour les pathogènes ». [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
La crise sanitaire liée au Covid-19, et en particulier les polémiques qui ont entouré les travaux du Pr Raoult, fournit à Romain Garrouste, taxonomiste lui-même, l’occasion d’un vibrant plaidoyer pour sa discipline. Celle-ci en a bien besoin. Depuis de nombreuses années, la communauté naturaliste déplore la lente agonie de la taxonomie, souvent considérée comme une branche désuète de la recherche, une sorte de vieille tante sympathique mais dépassée… « On peut se demander combien de projets de recherches relatifs à la taxonomie sont soutenus financièrement par les instances de la recherche française et mondiale. En France, probablement aucun… C’est pourtant le fondement de la biologie », écrit Romain Garrouste, qui convoque à l’appui de son plaidoyer le scientifique américain Quentin Wheeler : « L’extinction rapide des espèces signifie qu’il reste un temps limité pour revitaliser la taxonomie et explorer la diversité des espèces de notre planète. Trois actions ont le potentiel de déclencher une renaissance de la taxonomie : (1) clarifier ce qu’est la taxonomie, en mettant l’accent sur ses avancées théoriques et son statut de science fondamentale rigoureuse, indépendante et nécessaire ; (2) donner aux taxonomistes le mandat d’organiser et de compléter l’inventaire des espèces et les ressources nécessaires pour moderniser les infrastructures de recherche et de collection ; (3) collaborer avec des scientifiques de l’information, des ingénieurs et des entrepreneurs pour inspirer la création d’un avenir durable grâce à la bio-inspiration. »
Et Garrouste conclut sa tribune sur un souhait… et une espièglerie : « Puisse-t-il être entendu par le plus grand nombre de nos évaluateurs scientifiques et les tutelles de la recherche ! Remettons la taxonomie à sa place, celle d’une activité scientifique essentielle à a compréhension de nos écosystèmes et des holobiontes que nous sommes ».
Un holobionte, ou supraorganisme, est un ensemble composé par un organisme animal ou végétal et les micro-organismes qu’il héberge. Vous, vos microbes, vos virus, vos bactéries sans lesquels vous ne pourriez pas vivre… et qu’on ne connaît pas faute de taxonomistes pour les étudier et les classer.
Lire la tribune : https://theconversation.com/la-taxonomie-cette-discipline-essentielle-a-la-comprehension-des-pathogenes-139685
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