Elle est mignonne, l’histoire cent fois répétée par Pierre Rabhi du colibri qui, confronté à un incendie dans une forêt, « s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu », suscitant des sarcasmes de la part des autres animaux sur la totale inutilité de son action. « Je le sais, mais je fais ma part ».
D’où vient, pourtant, que cette histoire en évoque furieusement une autre, celle contée par La Fontaine du coche et de la mouche ? Au point de parfois se confondre :
« Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au Soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche.
Femmes, moine, vieillards, tout était descendu :
L’attelage suait, soufflait, était rendu.
Un colibri survient, et des chevaux s’approche,
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
Qu’il fait aller la machine.
L’oiseau en ce commun besoin
Se complait d’agir seul, et d’avoir tout le soin ;
Je fais ma part, dit-il, qu’en avez-vous à faire ?
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S’introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés. »
Son colibri en mascotte, ses jolies formules montées en boucle, Pierre Rabhi a théorisé le sauve-qui-peut moral individuel : si l’incendie perdure et s’étend, au moins ce ne sera pas de mon fait, moi j’ai fait ma part. Mais ma part de quoi, si le feu gagne toujours ? En refusant de tirer les conséquences opérationnelles de ses constats, Rabhi -dont le conservatisme en matière de mœurs n’a échappé à personne- aura contribué au maintien d’un ordre économique, social et politique mortifère plutôt qu’à l’invention d’un monde plus vivable.
Plus que son « insurrection des consciences », au contenu incertain, on retiendra son appel à une « sobriété heureuse »,guère plus définie mais qui propose au moins une alternative désirable à la frénésie croissanciste de ce monde qu’il vient de quitter.
(merci, pour l’emprunt, à JdLF)