L’autorité scientifique est mise en doute sur les questions de conservation des reptiles. Des experts liés à l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) ont écrit des lettres ouvertes et signés des articles d’opinion déplorant les décisions des entreprises de bannir les cuirs exotiques. Selon eux, ces interdictions nuisent aux efforts de conservation. Le site d’informations Mongabay a analysé les différents discours sur la question, laissant apparaître de nombreuses divergences et des conflits d’intérêts.
Le sujet prête à controverse : le commerce des peaux de reptiles est-il bénéfique à la conservation des espèces ? Cette question divise la communauté scientifique. Des experts affirment que certains programmes de récolte contribuent à la conservation des espèces et fournissent des moyens de subsistance tandis que d’autres affirment que le commerce est lourd de conséquences pour leur survie et posent des questions relatives au bien-être animal. Alors que penser de cette activité rapportant des milliers de dollars ? Le site d’informations Mongabay a analysé une série d’études et d’enquêtes ainsi que des lettres ouvertes et articles d’opinions signés par des experts liés à l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) afin de mettre en exergue la ou les vérités de chacun.
L’interdiction des peaux de reptiles est saluée par de nombreux défenseurs de l’environnement et du bien-être animal comme une mesure positive pour la faune. D’autres en revanche affirment que le retrait des peaux exotiques de l’industrie de la mode fait en réalité plus de mal que de bien. Selon les partisans du commerce de peaux de reptiles, l’industrie en question est durable. Elle contribuerait au rétablissement de la faune et soutiendrait même les communautés locales. Parmi eux, il est possible de retrouver des noms d’experts liés à l’UICN qui ont écrit des lettres ouvertes et des articles d’opinion pour déplorer les décisions des entreprises de bannir les cuirs exotiques. Mais les opposants à ce commerce s’interrogent quant aux motivations de l’UICN à soutenir l’industrie des peaux exotiques.
Mongabay mentionne ainsi le nom de Daniel Natusch, expert en biodiversité et membre de plusieurs groupes de la Commission de survie des espèces (CSE) de l’UICN, dont le groupe de spécialistes des boas et des pythons a co-écrit plus de 50 articles sur le sujet publiés au cours des dix dernières années. Selon Natusch, la plupart des gens qui vivent à proximité de grands reptiles, potentiellement dangereux, comme les crocodiles ou les pythons, ne les veulent pas dans leur cour et pourraient s’en débarrasser pour protéger leur bétail et leur famille. Mais lorsque les peaux de ces animaux peuvent être vendues avec profit à l’industrie de la mode, les gens sont incités à les protéger, ainsi que leurs habitats. Dans leurs lettres, Natusch et ses collègues expliquent aussi que l’industrie soutiendrait les communautés locales. Dans certaines régions du monde, le commerce semble avoir des effets bénéfiques sur les moyens de subsistance. Par exemple, la récolte des crocodiles du Nil (Crocodylus niloticus) dans le comté de Tana River au Kenya aurait fourni 100 emplois à temps partiel, les récoltants gagnant 9 162 dollars en 2018, selon une étude de cas CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) datant de 2019. Une information devant être nuancée puisque d’autres experts rappellent que certaines études montrent que ces emplois ne suffisent pas aux populations locales pour survivre et que beaucoup d’habitants doivent cumuler cette activité avec d’autres pour subvenir à leurs besoins.
Une enquête du média BuzzFeed réalisée en 2020 dévoile toutefois des liens potentiels entre l’UICN et les industries de la chasse au trophée et du cuir exotique. Certains membres des groupes de la Commission de survie des espèces feraient face à des conflits d’intérêts. Un des scientifiques dont parle Buzzfeed possède ainsi un grand élevage de crocodiles en Australie et, jusqu’à peu, vendait des peaux à des marques telles que Louis Vuitton. Le scientifique en question affirme n’avoir tiré aucun profit de ces ventes et que l’argent a contribué à financer les efforts de conservation locaux. L’enquête raconte également l’histoire de deux herpétologues allemands, Sabine et Thomas Vinke, qui ont été exclus du groupe de spécialistes des boas et des pythons de l’UICN-SSC, notamment en raison de leur position « radicalement anti-usage et anti-commerce ». « Les Vinkes s’étaient efforcés d’obtenir une meilleure protection pour le Tégu rouge (Tupinambis rufescens), une espèce endémique du Gran Chaco en Argentine qui est récoltée pour le cuir. Ils soutenaient alors et soutiennent encore aujourd’hui que l’espèce est en danger », rapporte Mongabay. Mais Sabine Vinke explique au média que les membres de l’UICN ont ignoré leurs données qui soutenaient le statut de conservation du Tégu rouge et ont choisi de ne pas publier l’évaluation de l’UICN pour cette espèce.
Au-delà de savoir si l’industrie des peaux exotiques contribue réellement à la conservation des espèces, de nombreux experts s’inquiètent du bien-être animal. Une enquête menée par PETA en 2006 a montré que les travailleurs d’une ferme de crocodiles au Vietnam qui fournissait du cuir de reptile à LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton) dépouillaient des crocodiles qui semblaient encore vivants. « Une autre enquête, menée par le défenseur de l’environnement Karl Ammann, a révélé que des travailleurs frappaient des pythons et des varans sur la tête avec des marteaux avant de les écorcher vifs, ainsi que des activités de blanchiment à grande échelle au Laos, en Malaisie et au Viêt Nam, visant à faire passer des espèces sauvages pour des espèces élevées en captivité », souligne Mongabay.