Bonne nouvelle : Bonané va mieux. Ses plaies au visage ont cicatrisé, vieux souvenir d’une bagarre entre grands mâles dominants pour des histoires de femelles et de chasse gardée dans les forêts du parc national de Kahuzi-Biega (PNKB), en République démocratique du Congo.
Bonané, bientôt 17 ans -il serait né le 1er janvier 2003, d’où son nom- est un gorille des plaines de l’Est, une espèce menacée, réduite à 250 individus. L’écrin naturel du Sud-Kivu est leur dernier sanctuaire au monde. Bonané et sa famille qui compte une douzaine d’individus ont l’habitude de recevoir une heure par jour quelques touristes, guidés par des éco-gardes armés, dans ce Kivu où les milices font la loi depuis 25 ans. Depuis un an, les « Rangers » sont aussi en guerre avec des leaders Pygmées. Des chefs autochtones qui affirment avoir été spoliés de leurs terres ancestrales dans les années 70 lors de l’extension du parc. Le conflit est passé à la vitesse supérieure en 2018, quand des Pygmées se sont (ré)-installés sur des terres du parc, inscrit au patrimoine mondial des biens en péril de l’Unesco depuis 1994. « L’invasion a commencé au mois d’août. Au mois de décembre, ça s’est accéléré », résume Hubert Mulongoy, porte-parole du parc, un établissement de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
« Voilà 48 ans que nous souffrons. Depuis l’année dernière, nous avons décidé de retourner de force sur nos terres. C’est notre Eden! »,confirme et proclame le chef pygmée Jean-Marie Kasula, du village de Munyange, à la lisière du « PNKB ». Le retour au paradis perdu a entraîné des escarmouches, avec des morts de part et d’autre (au moins trois), dans des circonstances confuses. Les « autochtones » ont aussi détruit 350 hectares de forêt, selon le parc qui s’alarme: la déforestation menace l’habitat naturel des derniers gorilles de Grauer.
Pourquoi ce retour des Pygmées en 2018, l’année de la campagne pour les élections du 30 décembre ? Comment ces « peuples autochtones » armés de flèches et de machettes ont-ils pu défier des Rangers armés et abattre des arbres ? Ces questions « politiques » énervent le chef pygmée Kasula, qui met fin à l’entretien parce que ses interlocuteurs refusent en plus de lui verser une « motivation » (financière) pour continuer l’interview. La direction du parc est plus loquace: les quelque 6.000 Pygmées des alentours du parc sont « instrumentalisés » par les notables de la région. Officiers de l’armée, ministres et députés provinciaux, commerçants, ils n’ont pas supporté que le nouveau directeur du PNKB touche directement à leurs intérêts fonciers. A son arrivée en avril 2018, De Dieu Bya’Ombe a entrepris de déloger leurs fermes, installées au milieu du parc.
« Dans les fermes, il y avait des hommes armés. C’était des opérations purement militaires,affirme M. Bya’Ombe. Il élude d’un sourire la question sur le bilan humain des opérations. Les fermiers ont promis qu’ils allaient utiliser tous les moyens pour nous déstabiliser. Et l’instrumentalisation des Pygmées pour venir détruire le parc en est un, conclut le directeur, toujours escorté par deux Rangers armés. J’ai fait ce que d’autres n’ont pas osé faire… ».
« Il est plausible que les pygmées soient instrumentalisés. Ce qui n’enlève rien au fait que leur colère est réelle et ancienne »,estime l’universitaire et consultante en gouvernance forestière Marine Gauthier. En vérité, la zone déforestée est une minuscule entaille dans l’aire naturelle qui s’étend sur 600.000 ha (600 km2), jusqu’aux provinces voisines du Maniema et du Nord-Kivu – là où plus personne ne contrôle plus rien (groupes armés, trafic de minerais, braconnage). Mais le conflit et la déforestation touchent la vitrine du parc, sa partie en altitude, celle qui abrite les gorilles accessibles aux touristes (2.000 par an d’après le parc). La ligne de front se trouve à une heure à peine de la capitale provinciale Bukavu, dans une région densément peuplées, comme partout autour du lac Kivu voisin. La pression démographique se fait d’ailleurs sentir sur les zones attaquées. Les habitants exploitent et brûlent sur place les arbres abattus. Objectif: fabriquer le précieux « makala » (charbon de bois), l’or noir des pauvres, l’unique source d’énergie pour la quasi-totalité des Congolais, faute d’électricité. Sur une parcelle défrichée, des femmes fuient à l’approche des Rangers, en courbant le dos sous le poids d’un gros sac de « makala », qui peut se revendre jusqu’à cinq ou dix dollars. En présence des journalistes, le chef-rangers Chadrack Kasereka joue la carte du dialogue:« Je leur ai dit: fini les activités illégales dans le parc. Ils sont censés faire passer le message ».Le parc, qui affirme compter des Pygmées parmi ses Rangers, fait son possible pour éteindre les braises du conflit. Il en va du développement du tourisme encore balbutiant par rapport au parc des Virunga dans la province voisine du Nord-Kivu, sans parler du Rwanda voisin. Un forum de réconciliation s’est tenu fin septembre entre les autorités et des représentants pygmées désavoués par d’autres chefs coutumiers. On a promis une fois de plus des terres et des emplois aux Pygmées. Après les cicatrices de Bonané, il faut tenter de refermer les plaies du « conflit ».
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