Bulgarie : une station de ski va-t-elle défigurer la moitié d’un parc national ?

Photo © Vadim Petrakov-Fotolia

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Bansko, ses 75 km de pistes de ski, ses prix parmi les plus bas d’Europe… En une décennie, cette petite station bulgare s’est imposée dans le décor hivernal. Mais un projet d’agrandissement du site, au cœur d’un parc naturel classé par l’Unesco et dans un contexte de soupçons de corruption, embrase l’opinion bulgare.

Encore confidentielle il y a une quinzaine d’années, la station de la chaîne du Pirin, dans le sud-ouest de la Bulgarie, attire désormais chaque saison près de 150.000 visiteurs venant de toute l’Europe pour skier à moindre coût. Un essor dû à l’opérateur privé Ulen, qui depuis le début des années 2000 a multiplié les investissements et modernisé la station au point de lui permettre d’accueillir des épreuves de la Coupe du monde de ski alpin depuis 2009. « D’un endroit quelconque, Bansko s’est métamorphosée en une station de ski connue mondialement, se félicite le maire de cette localité de 9.500  habitants, Georgui Ikomonov, selon qui 80% de la population » locale bénéficie des retombées économiques.

Située à deux heures de route de Sofia, la station attire chaque semaine des milliers de skieurs, principalement britanniques et russes, acheminés par navettes directement depuis l’aéroport de la capitale bulgare. Mais le succès a un prix: la télécabine permettant d’accéder aux pistes a une capacité horaire limitée à 2.200 personnes, ce qui se traduit fréquemment par des queues de plus de deux heures pour les skieurs. « Nous sommes devenus célèbres pour nos queues, reconnaît Ivan Obreykov, le directeur marketing du domaine. Mais avec le forfait quotidien à 28 euros, Bansko reste la station la moins chère d’Europe pour une telle taille, et les gens continuent d’affluer », dit-il à l’AFP.

Face à l’avalanche de visiteurs, la station, dont le domaine culmine à 2.600 m d’altitude, a obtenu en décembre le feu vert du gouvernement pour construire une seconde télécabine, d’une capacité de 3.000 personnes par heure, destinée à désengorger la première, qui assure une liaison de 6 kilomètres. Mais cette décision rend également constructible jusqu’à 48% de la surface du Parc national du Pirin, inscrit au Patrimoine mondial par l’Unesco en 1983, et depuis plusieurs semaines, la polémique enfle. Manifestations et contre-manifestations se succèdent autour de ce projet. Dans un pays gangréné par la corruption, les opposants estiment que le décret ouvre la voie à un saccage environnemental et dénoncent l' »opacité » entourant la gestion de la station. « S’il s’agissait juste d’une seconde télécabine, il n’y aurait pas besoin de rendre constructible près de la moitié du Parc national », souligne Konstantin Ivanov, du Fonds mondial pour la nature (WWF), une ONG de défense de l’environnement. Alors que la localité est déjà défigurée par des carcasses de bâtiments dont le construction a été brutalement interrompue par le crise de 2008, l’organisation redoute un étalement urbain au coeur même du domaine skiable. Le Premier ministre Boïko Borissov a eu beau promettre qu’il n’y autoriserait pas « la pose de la moindre pierre hormis pour cette télécabine », l’argument ne convainc pas les détracteurs. « Nous ne croyons pas cette promesse », souligne M. Ivanov, dont l’organisation estime que le domaine skiable s’est déjà étalé sur « 60% de plus que ce que permettait la concession initiale ». Pointant les « dommages irréparables » déjà infligés à l’environnement, le WWF suggère que Bansko ne mise pas tout sur le ski et développe également le tourisme vert estival.

Reste que pour la station, qui assure ne pas avoir de projets d’extension « à ce jour », la construction d’une seconde télécabine relève de l' »urgence », selon M. Obreykov, le directeur marketing du domaine. Le dossier, qui mobilise des manifestants jusque sous les fenêtres du gouvernement et du parlement à Sofia, est devenu emblématique de « la méfiance de plus en plus grande de la population envers les institutions, juge l’analyste Petar Ganev de l’institut Market Economics. Le problème, ce n’est pas la seconde télécabine, mais la corruption dans le pays », estime-t-il.