Controverse scientifique autour du déclin des insectes

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En avril 2020, la revue Science publiait une vaste méta-analyse sur le déclin des populations d’insectes. Depuis sa sortie, cette publication a suscité beaucoup de critiques de la communauté scientifique, notamment parce que les résultats sont contradictoires avec la majorité des études sur le sujet.

La communauté scientifique s’accorde à dire que le déclin des insectes est alarmant. Des études sont régulièrement publiées dans diverses revues faisant état d’une perte importante des populations mondiales. En 2019, une étude publiée dans Biological Conservation estimait que 40 % des espèces d’insectes étaient en déclin et un tiers était menacé. A Porto Rico, 98% des insectes ont disparu en 35 ans. En avril 2020, une méta-analyse publiée par la revue Science a fait l’objet d’une vaste couverture médiatique. La publication livrait une vision plus nuancée du déclin des insectes que les études précédentes, suscitant des interrogations de la part de la communauté scientifique en raison de résultats contradictoires avec un grand nombre d’études réalisées sur le sujet. En décembre 2020, la revue Science a publié un commentaire critique de cette étude et par la même occasion une réponse à ce commentaire critique rédigé par les auteurs de la méta-analyse. Cet échange a attiré l’attention du journal Libération fin 2020, puis du Monde, qui dévoile une enquête sur le sujet en ce début d’année 2021.

L’étude publiée en avril 2020, intitulée « Une méta-analyse révèle un déclin des insectes terrestres mais une augmentation de l’abondance des insectes d’eau douce », dévoile des chiffres plutôt rassurants. Pour estimer les variations moyennes du nombre d’insectes terrestres et aquatiques, les chercheurs allemands ont pris en compte 166 études, rassemblant des mesures faites sur près de 1 700 sites dans le monde entier – la plupart en Amérique du Nord et en Europe. Leurs conclusions montrent une baisse d’abondance des insectes terrestres limitée à 9 % par décennie, et une surprenante hausse de 11 % par décennie pour les insectes aquatiques. D’après l’enquête du Monde, ces chiffres sont loin de ce qui est suggéré par d’autres études. L’une d’elle estimait la perte d’abondance des arthropodes (insectes, araignées, mille-pattes) à 78 % entre 2007 et 2018, sur un échantillon de 150 prairies allemandes. Le journal explique toutefois que les chiffres de la méta-analyse devraient être d’autant plus crédibles que cet exercice consiste à rassembler les données de nombreux travaux disponibles est théoriquement plus fiable que chaque étude prise indépendamment.

Le commentaire publié par Science le 18 décembre 2020 est une réponse critique à la méta-analyse allemande effectuée par des chercheurs français, britanniques et belges. Les scientifiques ont passé au peigne fin toutes les études utilisées dans la méta-analyse et la méthodologie utilisée par l’équipe. Ils ont identifié des biais importants et des problèmes méthodologiques dans 113 des 166 études utilisées dans la méta-analyse. 57 études incluses dans le jeu de données de la méta-analyse étaient des « expériences naturelles » ou des expériences scientifiques contrôlées examinant les conditions expérimentales susceptibles d’avoir un impact sur les communautés d’insectes. « Cependant, l’effet de ces expériences n’a pas été pris en compte », explique les auteurs dans leur commentaire. Une des observations qualifiées « d’aberrante » par les chercheurs portait sur une comparaison de cours d’eau touchés ou non par un incendie, dans le cadre d’une expérience naturelle sur 172 parcelles expérimentales dans un champ de sept hectares. L’incendie et les expériences de culture menées dans chaque parcelle ont introduit une forte hétérogénéité de sites qui n’a pas été prise en compte dans la méta-analyse. Dans une interview au Monde, Bradley Cardinale de l’université d Pennsylvanie explique que cette approche est jugée irresponsable par les spécialistes : « Cela consiste à rassembler dans une analyse commune toutes les études documentant les changements dans l’abondance des insectes, sans tenir compte des différences dans la conception ou l’objectif de ces études », explique-t-il au journal.

Dans une réponse à ce commentaire critique également publiée le 18 décembre dans Science, l’auteur principal de la méta-analyse explique avoir corrigé les erreurs lors du traitement de données notifiées dans le commentaire, mais que cela ne modifie pas les conclusions générales de leur analyse.

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