Près de Nantes, querelle autour du modèle de maraîchage « industriel » 

3282700 de Pixabay

880
3282700 de Pixabay
⏱ Lecture 3 mn.

Ancré dans l’histoire, l’économie et le paysage de la région nantaise, le maraîchage « industriel » suscite une opposition de plus en plus marquée d’associations écologistes et d’élus locaux, qui jugent son modèle « en décalage avec l’urgence environnementale ».

A Saint-Julien-de-Concelles, petite commune du bord de Loire, d’immenses abris blancs, hauts de cinq à six mètres et alignés sur plusieurs kilomètres, font écran sur l’horizon. Ils surplombent des plans de mâche, de jeunes pousses et d’épinards.  Sillonnant les petites routes alentour, Thierry Godineau, conseiller municipal d’opposition, soupire: « Derrière les abris, il y a un clocher, des arbres. On ne les voit plus. »  L’élu estime que les maraîchers ont « toujours eu leur place » en Loire-Atlantique – première productrice de mâche française et deuxième européenne – mais ferraille contre un modèle « industriel » qui « défigure » la vallée et « réduit » sa biodiversité.   « Ils ont un cahier des charges, un calendrier de production. Le seul moyen de les respecter en termes de volume et d’aspect, c’est de stériliser le sol puis d’y injecter exactement ce dont leurs cultures ont besoin pour pousser de manière uniforme et calibrée », affirme Guillaume Planche, maraîcher bio paysan dans le sud de Nantes.  « Les maraîchers industriels, ce sont d’énormes entreprises qui génèrent des millions de chiffre d’affaires (…) sans accroître la résilience alimentaire du territoire », pointe de son côté Julie Laernoes, députée écologiste de Loire-Atlantique, qui juge le modèle « en décalage avec l’urgence environnementale ».  D’après la Fédération des maraîchers nantais, le chiffre d’affaires annuel du secteur « tourne autour de 300 millions d’euros par an », soit entre 12 et 25% du chiffre d’affaires agricole du département, selon les années.

« Bascule »

Président de la fédération, Régis Chevallier produit sur 70 hectares mâche, épinards, radis, jeunes pousses et poireaux primeurs, en partie sous « GAP » (grands abris plastiques), fournissant via sa coopérative des industriels, comme Bonduelle ou Florette, et les grandes ou moyennes surfaces.  Lui prône l' »humilité » face à la question climatique et demande « un peu de temps » pour s’adapter.  « Il y a dix ans, on mettait un coup de glyphosate pour détruire un plan d’épinards. Aujourd’hui, on utilise un outil mécanique. Cette année, on a investi dans un nouveau type de semoirs qui permet de faire de la mâche sans sable. On n’a pas attendu les polémiques pour réfléchir », souligne-t-il.  Il dénonce une récente « bascule agressive » de certains critiques.   Mi-juin, un millier de personnes avaient manifesté près de Nantes à l’appel d’un collectif regroupant notamment Les Soulèvements de la terre et l’association La Tête dans le sable pour dénoncer l’exploitation industrielle de cette ressource dans le maraîchage.   Des militants avaient alors dégradé une serre expérimentale de la Fédération des maraîchers, qui a depuis déposé plainte contre X.

Dunes

 Trois mois plus tard, Bertille Grasset, de l’association La Tête dans le sable, raconte une action « à visée symbolique » face « aux hectares qu’ils peuvent exploiter ».   « Mais leur force de frappe, le soutien de la FNSEA (syndicat agricole majoritaire), leur a permis d’inonder les médias avec leur version des faits », ajoute-t-elle.   L’association a été créée il y trois ans contre le projet d’extension des sablières Lafarge et GSM de Saint-Colomban, au sud de Nantes, dont les gisements seront bientôt épuisés. Les deux entreprises souhaitent exploiter 70 hectares supplémentaires.   Sur ces deux sites bordés de dunes, entre 25 et 30% des 600.000 tonnes de sable extrait en moyenne chaque année sont destinées au maraîchage nantais.    La Tête dans le sable redoute en cas d’extension de voir arriver autour des sablières de nouveaux maraîchers, qui « rachètent déjà les terres de fermes au-dessus du prix du marché ».   Si le nombre d’exploitations maraîchères a baissé en dix ans, la surface dédiée a augmenté d’au moins 10%, d’après le recensement agricole.  « Certains parlent d’accaparement des terres : en Loire-Atlantique, le maraîchage c’est environ 1% de la surface agricole utile. Nous comparer avec Almeria (en Espagne, dont les immenses cultures sous serre sont surnommées « mer de plastique », NLDR), je trouve ça assez irresponsable », répond Régis Chevallier.  A Saint-Julien-de-Concelles, Thierry Godineau ne demande qu’à discuter. Lui suggère notamment de regrouper tous les GAP de sa commune, pour éviter d’obstruer une trop grande partie du paysage. Mais pour le moment, dit-il, « le dialogue est difficile ».