L’astragale, ce buisson emblématique des calanques marseillaises, piétiné par les randonneurs, repoussé par l’urbanisation, attaqué par les lessives qui polluent la mer, est menacé de disparition.
Sous le soleil, face à la Méditerranée, une quinzaine de personnes s’activent pour replanter des pousses d’astragale. A l’écart de la ville, près de la calanque de Marseilleveyre accessible après 45 minutes de marche sur des rochers rendus glissants par le passage des promeneurs, les défenseurs de cette plante participant à un programme de réintroduction creusent ce matin-là méthodiquement la terre rougeâtre. L’été venu, des milliers de visiteurs cherchent au creux des anses et des criques qui se succèdent entre Marseille et Cassis un endroit paisible pour se baigner. Mais au cœur de l’arrière-saison, les jardiniers du jour profitent du calme pour planter en retrait du chemin quelques-uns des 3.000 plants cultivés depuis près d’un an dans les pépinières marseillaises. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Dans quatre ou cinq ans, alors que seulement 20 à 50% d’entre eux devraient avoir survécu, ils donneront naissance à des petits buissons épineux vert-de-gris, surnommés « coussin de belle-mère ». Dans cette « niche écologique entre la mer et la garrigue, les plantes devraient trouver les ressources pour se développer et se reconnecter avec les populations d’astragale existantes« , espère Laureen Keller, écologue au parc national des Calanques. Leur réintroduction, à laquelle participent notamment l’université Aix-Marseille, la ville, le parc national et la région dans le cadre du projet européen Life Habitat Calanques financé principalement par l’Europe, représente un enjeu de taille. Plante endémique rare dont les plus vieux spécimens sur le site de sa réintroduction sont estimés à 40 ou 50 ans, « l’astragalus tragacantha » se concentre à 90% sur le littoral marseillais, le Var, l’Espagne et le Portugal abritant le reste de sa population. « Si on la perd ici, c’est la population française de l’astragale qui disparaît« , souligne la responsable du pôle de connaissance scientifique du parc national des Calanques, Lidwine Le Mire Pecheux, penchée sur les minuscules plants.
La plante, répertoriée sur la liste rouge des espèces menacées en France par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), est entrée en 2019 dans la catégorie des espèces « en danger ». L’ONU estime que sur 8 millions d’espèces animales et végétales vivant sur Terre, un million sont menacées d’extinction. Aux premiers rangs des risques pour l’astragale, l’urbanisation, qui a chassé la plante de son milieu naturel, et les randonneurs, qui sortent des sentiers et l’écrasent sans même s’en rendre compte. Exposée au Mistral, la plante compte aussi parmi ses ennemis les embruns marins pollués par les rejets dans la mer des stations d’épuration, qui recèlent des tensio-actifs contenus notamment dans les gels douche ou les résidus de lessive. « Ces produits sont destinés à enlever le gras: le problème, c’est que les feuilles de l’astragale sont recouvertes d’une pellicule grasse destinée à les protéger du sel marin, mais avec les embruns cette protection disparaît et les plantes ne résistent plus au sel« , explique Laureen Keller. L’espèce, qui n’a pas changé depuis 2,6 millions d’années, est pourtant un exemple d’adaptation au milieu méditerranéen, avec notamment ses racines très longues qui vont puiser l’eau en profondeur. « Protéger l’astragale, c’est aussi protéger tout son milieu, elle est un exemple de solidarité écologique« , insiste Lidwine Le Mire Pecheux. Le végétal dont les fleurs blanches sont polinisées au printemps par les abeilles sauvages, se transforme en « parapluie » écologique. Les racines du buisson ont ainsi la particularité de capter les polluants des sols, évitant ainsi leur dilution dans l’air et l’eau. Une chance pour ces calanques situées à proximité d’anciennes usines de plomb, de soude ou encore de soufre, dont la dernière a fermé en 2009. « Quand l’environnement va bien, c’est la santé de l’homme qui va mieux« , s’enthousiasme la responsable.
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