L’ONU a ouvert des négociations sur la haute mer, un espace non régulé dont les ressources génétiques attirent de plus en plus les convoitises.
Anticancéreux, antidouleur, antioxydant… Les fonds marins offrent une richesse génétique sans pareil, capable de donner naissance aux médicaments du futur. Mais leur exploitation se fait aujourd’hui sans contrôle, avec pour règle « premier arrivé, premier servi ». Les ressources génétiques marines et la question de leur partage seront au cœur des négociations qui ont débutées mardi 4 septembre aux Nations Unies sur la haute mer (à plus de 200 milles des côtes), qui couvre environ 46% de la surface de la planète et n’est contrôlée par aucun Etat. L’intérêt pour ces ressources, longtemps négligées faute d’être connues et de la technologie nécessaire pour les exploiter, s’est amplifié à partir des années 1980. Au cours des quinze dernières années, le nombre de dépôts de brevets internationaux liés à des espèces marines s’est envolé, selon une étude parue en juin dans la revue Science Advances. Et la tendance va se poursuivre, avec un marché mondial des biotechnologies marines qui pourrait peser 6,4 milliards de dollars d’ici 2025. Actuellement, les entreprises privées sont à l’origine de 84% des dépôts de brevets sur les ressources marines génétiques, loin devant les universités (12%). Le géant allemand de la chimie BASF se taille la part du lion avec 47% des brevets déposés. Trois pays dominent le secteur: l’Allemagne, les Etats-Unis et le Japon. Si la haute mer intéresse tant, c’est qu’« elle recouvre une diversité d’habitat extraordinaire et donc une biodiversité foisonnante », explique la biologiste Françoise Gaill, qui coordonne le conseil scientifique de la Plateforme océan et climat. Les océans sont considérés comme le berceau de la vie et les organismes vivants s’y sont développés et adaptés depuis plus longtemps que sur la terre ferme. Les abysses, longtemps considérés comme des espaces morts, regorgent de vie. Les conditions de vie dans les grands fonds marins – absence de lumière, fortes pressions, acidité importante, chaleurs extrêmes près des sources hydrothermales – ont conduit les animaux et les micro-organismes (bactéries, virus…) qui les peuplent à développer des caractéristiques particulières qui intéressent la médecine et la cosmétique.
Déjà, des éponges marines ont permis le développement de traitements anticancéreux. Un gastéropode, le conus magus, offre un antalgique 1.000 fois plus puissant que la morphine. D’autres organismes, des algues, des crustacés ou des méduses, possèdent des propriétés utilisées pour le matériel médical. La cosmétique n’est pas en reste, avec une multitude de crèmes et de sérums comprenant des actifs issus de la mer. Mais les ressources génétiques marines ne sont pas à la portée de tous. Monter une semaine d’expédition pour récolter des coraux en eaux profondes coûte 455.000 dollars, selon l’étude parue dans Science Advances. La recherche « nécessite un important investissement technologique et une capitalisation du savoir sur le plan moléculaire et océanographique que n’ont pas nécessairement les pays du Sud, souligne Sophie Arnaud-Haond, chercheuse à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Le premier à déposer un brevet va s’octroyer l’utilisation partielle d’une molécule particulière », poursuit la scientifique, qui déplore aussi que dans la quasi-majorité des cas, l’origine des séquences génétiques brevetées ne soit pas connue. La convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 ne s’est pas intéressée directement aux ressources marines génétiques car à l’époque, elles étaient très mal connues, indique Julien Rochette, directeur du programme Océan à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Se pose à présent la question de leur exploitation et de leur partage. La biologiste Françoise Gaill plaide pour que la haute mer devienne un « bien commun de l’humanité », dans un souci d’« équité » entre pays riches et pauvres. Ces derniers seront d’ailleurs très attentifs à la question des ressources marines génétiques lors des négociations à l’Onu, prévues pour durer jusqu’en 2020, souligne Julien Rochette. Ce sera « le sujet le plus complexe d’un point de vue technique et juridique, car il renvoie à la création d’un mécanisme pour lequel il n’y a pas beaucoup d’autres modèles », estime le juriste.
Les négociations des pays de l’ONU doivent aboutir à un traité destiné à protéger la haute mer et les fonds marins. Quatre sessions de discussions de deux semaines chacune sont prévues sur deux ans pour aboutir à un traité contraignant. Elles portent sur la haute mer et la zone internationale des fonds marins, soit environ 46% de la surface de la planète. Le futur traité doit permettre de créer des aires marines protégées, de favoriser le partage des avantages sur les ressources maritimes génétiques et les études d’impact environnementales, ainsi que de renforcer les capacités et les transferts de technologies marines.