Des champs inondés quand il pleut et des parcelles en proie à l’humidité toute l’année : une dizaine d’agriculteurs du nord-est de la France déplorent des pertes économiques liées à la présence de castors dans leur département, la Meuse.
Le retour de ces castors, arrivés de Belgique, dans la Meuse, est une bonne nouvelle pour la biodiversité, alors que l’espèce avait presque entièrement disparu dans la région.
Mais ces rongeurs, connus pour être d’ardents travailleurs qui construisent des barrages la nuit, empêchent ainsi le bon écoulement des eaux, selon un couple d’exploitants qui se bat depuis quatre ans pour éviter les pertes liées à leur présence.
Installés à Sivry-sur-Meuse, au nord de Verdun, les époux Renaudin estiment avoir perdu, entre 2021 et 2023, plus de 38.000 euros en lien direct avec les « dommages causés par les castors », avec des pertes sur les récoltes de maïs, de tournesol ou d’orge.
Mais l’espèce étant protégée, hors de question de détruire les barrages… que ces bûcherons hors pair auraient de toute façon tôt fait de reconstruire.
En 2020, quand la présence des castors a été avérée dans le secteur, des exploitants comme le couple Renaudin « ne pouvaient pas récolter leur maïs à cause de l’eau », retrace Philippe Jonvaux, naturaliste et coprésident du Groupement d’étude des mammifères lorrains (GEML).
Dans le cadre d’une médiation, la pose d’un siphon a été proposée par le GEML. Il « a bien rempli son rôle », dit à l’AFP M. Jonvaux. « L’eau a baissé » mais de fortes précipitations ont aussi pu causer des inondations, « pas liées à la présence du castor » selon lui.
« Excès d’eau »
Karine Renaudin l’affirme pourtant : le castor est la cause des maux des agriculteurs du secteur. « On a déjà rallongé un bout de jachère et, malgré tout, la culture est en excès d’eau » et les pertes sont importantes.
Au total, en 2024, cinq barrages de castors ont été recensés autour de Sivry-sur-Meuse, dont un abandonné depuis.
« Alors que les premières années les impacts étaient principalement localisés autour du bois, en 2024, l’engorgement des sols (affecte) une zone beaucoup plus importante », estimée à 140 hectares, indique la Chambre d’agriculture dans le compte rendu d’une réunion entre la dizaine d’agriculteurs concernés et les services de l’Etat en mars.
Les castors « empêchent les agriculteurs de travailler », dit à l’AFP le maire Claude Venante. « L’eau monte dans les cultures », donc les exploitants « n’arrivent pas à semer, ou à récolter », résume-t-il.
Les barrages perturbent aussi les assainissements communaux, déplore l’édile. « On risque l’ensablement des tuyaux, donc ça fait des frais. »
Plus gros rongeur semi-aquatique d’Europe, le castor avait disparu du Grand Est au XVIIe siècle, à l’exception de quelques individus dans les Vosges, mais des lâchers, en 1998 en Belgique, ont repeuplé la région.
Au plus, selon le GEML, il y aurait six castors à Sivry-sur-Meuse, sur trois générations.
En construisant des barrages, « ils créent des milieux humides qui sont des habitats pour de nombreuses autres espèces » et des retenues d’eau qui contribuent à réduire l’érosion des sols, rappelle l’Office français de la biodiversité (OFB).
Espèce protégée
En 2022, le ministère de la Transition écologique, questionné au Sénat sur le castor, avait indiqué que l’espèce était présente « sur environ 15.000 kilomètres de cours d’eau en France et son aire de répartition continue de s’accroître ».
Il avait assuré que les « services de l’Etat, en particulier en région, sont mobilisés pour que soient apportées, en toutes circonstances, les réponses les plus appropriées aux problèmes posés par la cohabitation entre le castor et l’homme ».
Pour les époux Renaudin, la réponse serait un déplacement du castor, accordé seulement sous un régime dérogatoire, l’animal étant une espèce protégée.
M. Jonvaux préconise lui de déplacer une partie de l’exploitation agricole, en donnant aux agriculteurs d’autres terres, à un endroit où le castor n’est pas présent.
Pour l’heure, aucune solution convenant aux deux parties n’a été trouvée, selon Karine Renaudin.
Le gouvernement avait précisé, en 2022, qu’il n’était pas prévu de régime d’indemnisation spécifique dans le cas où les espèces protégées causaient des dommages, sauf dans le cas d’un « caractère grave et spécial ».
Sollicitée, la préfecture de la Meuse n’a pas donné suite aux demandes de l’AFP.