« La décision du Conseil d’Etat sur les zones humides rend inapplicable l’arrêté de 2008 ! »

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Trois questions à Jérôme Bignon, Sénateur de la Somme, Président de Ramsar-France, Rapporteur de la loi « Biodiversité » au Sénat

ANES : Le Conseil d’Etat vient de rendre un arrêt qui modifie la définition des zones humides et la rend nettement plus stricte. Comment réagissez-vous à cet arrêt ?

Jérôme Bignon : C’est une interprétation nouvelle de la loi sur l’eau que livre ne Conseil d’Etat, et je ne peux pas vous cacher que cette décision m’interpelle ! Jusque là, un arrêté de 2008 était venu éclairer la loi, et précisant qu’une zone humide pouvait être définie soit sur des critères pédologiques, c’est-à-dire liés à la nature du sol, soit sur des critères floristiques, c’est-à-dire par la présence de plantes hygrophiles. Mais ces deux critères étaient clairement alternatifs. Le Conseil d’Etat vient aujourd’hui nous dire qu’ils doivent être cumulatifs. Il invalide donc l’arrêté de 2008. Il est vrai que c’est un sujet un peu délicat, et que la loi était sujette à interprétations : dans ma région, j’ai eu affaire, pour une même zone située à cheval sur deux régions, à la DREAL de la Somme qui ne regardait que des critères floristiques, et à la DREAL Normandie qui exigeait des relevés pédologiques ! C’est sans doute la raison pour laquelle l’arrêté de 2008 est venu éclairer ces interprétations. Mais après la décision du Conseil d’Etat, il semble désormais inapplicable. Il faut quand même relever que cette décision ne s’applique que lorsqu’il y a de la flore, ce qui relativise légèrement son impact. Mais c’est un arrêt que le Conseil d’Etat a décidé de publier, et qui marque une nette inflexion jurisprudentielle, qui me paraît dommageable. Il faudra sans doute revenir devant le Parlement pour préciser la loi. Pour être complet, il faut toutefois préciser que cet arrêt sera sans effet sur les zones Ramsar, puisque celles-ci relèvent d’un traité international, dont la portée juridique est supérieure à celle de la loi.

ANES : Un autre arrêt du Conseil d’Etat réaffirme la primauté de la loi littoral sur les documents d’urbanisme…

Jérôme Bignon : Cette décision-là est totalement bienvenue ! Elle intervient quelques semaines après des débats parlementaires au cours desquels quelques élus avaient tenté de livrer bataille contre une disposition essentielle de la loi, qui contraint à édifier des constructions nouvelles en continuité des agglomérations existantes. En l’espèce le maire a eu raison de refuser le permis de construire, même s’il était conforme au PLU de sa commune, parce que le bâtiment projeté n’était pas situé en continuité de l’agglomération. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’Etat, et il a parfaitement raison !

ANES : Moins d’un an après l’adoption de la loi « biodiversité », dont vous étiez le rapporteur au Sénat, quel bilan en tirez-vous ?

Jérôme Bignon : IL est évidemment beaucoup trop tôt pour parler de bilan, mais il est incontestable que les choses vont dans le bon sens ! Le plus grand succès, c’est la création de l’Agence française pour la biodiversité, qui s’est mise en place dans des délais incroyablement brefs, et dans de bonnes conditions. Je fais partie de son conseil d’administration, mon seul regret est que nous y sommes beaucoup trop nombreux (Ah, les ravages de la comitologie…) mais pour le reste je peux témoigner que le travail avance et qu’il est sérieux ! Il faut aussi souligner que les décrets d’application de la loi ont été pris dans des délais très courts, ce qui marque l’engagement louable du ministère de laisser un bilan propre au prochain gouvernement. Reste évidemment la question du fonctionnement de l’Agence avec le monde de la chasse. Il faudra évidemment que l’AFB et l’ONCFS travaillent ensemble, que les chasseurs le veuillent ou pas. Ne serait-ce que parce que les forces de chacun sont limitées. On dit qu’il faut moins de fonctionnaires en France, mais dans certains secteurs nous manquons d’agents. Juste un exemple : il y a 400 agents de l’’x-ONEMA pour faire la police de l’eau. Il y a une centaine de départements, sans compter les outre-mers. Avec les congés, les RTT, etc, vous voyez comment la police de l’eau est assurée… En outre, il est souvent utile de faire converger les compétences des agents de l’ONEMA, de l’ONCFS, de l’ONF, voire des gardes du littoral.

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko