Un projet démesuré est à l’œuvre : deux scientifiques espèrent cataloguer toutes les espèces du Costa-Rica à l’aide du barcoding moléculaire, afin d’avoir une connaissance totale – et accessible à tous – de la nature du pays.
Daniel Janzen, biologiste évolutionniste à l’université de Pennsylvanie, et Winifred Hallwachs, écologue tropical, sont deux héritiers un brin mégalomanes de Carl Linnaeus, qui avait initié la description systématique des espèces au milieu du XVIIIe siècle. Dans le cadre d’un projet qu’ils appellent BioAlfa (abréviation de « BioAlfabetizado », pour « bioalphabète »), ils vont tenter d’identifier à l’aide d’un code-barre ADN toutes les espèces d’une nation à la riche biodiversité : le Costa Rica.
Au cours des 270 dernières années, les scientifiques du monde entier ont décrit environ 2 millions d’espèces au total. Janzen pense que le petit pays du Costa Rica abrite plus d’un million d’espèces multicellulaires, et qu’il pourrait être le premier à devenir « bioalphabète », c’est à dire à les connaître parfaitement – qui elles sont, leur aire de répartition, si elles sont rares ou communes, comment elles interagissent entre elles, leur état de conservation, etc. À cette fin, Janzen et Hallwachs ont conclu un accord avec le président du Costa Rica, Carlos Alvarado, faisant de BioAlfa un organisme « d’importance nationale » et garantissant que tous les résultats des codes-barres ADN seraient mis dans le domaine public.
Une telle entreprise n’est imaginable qu’en raison des progrès réalisés dans le domaine de la technologie génétique. Tous les spécimens collectés sur le terrain seront ainsi dotés d’un code-barre ADN : au lieu de lire le brin complet, les experts lisent un brin très court dans une zone, déjà identifiée, qui différencie une espèce d’une autre. Cela permet essentiellement d’obtenir un « nom » génétique de l’espèce, qui peut être enregistré dans une base de données.
Depuis le milieu des années 2000, Janzen et Hallwachs ont utilisé la technique du barcoding pour environ un demi-million de spécimens représentant quelque 50 000 espèces, stockés dans le Barcode of Life DataSystem (BOLD). Mais BioAlfa nécessiterait une augmentation considérable du nombre de spécimens collectés et testés au Costa Rica. Sur une période de 10 ans, le programme espère pouvoir utiliser le barcoding pour 80 à 90% des espèces du pays, soit des millions d’individus, avec l’aide des nouvelles technologies. Janzen espère mettre à contribution les Costa-ricains, qui pourraient se voir dotés dans le futur de lecteurs de poche et personnels de codes à barres, actuellement en cours de conception.
BioAlfa se veut un effort de démocratisation de la connaissance de la biodiversité, et de reconnexion des acteurs locaux à leurs écosystèmes. Janzen pense ainsi que les Costaricains pourront trouver de nouvelles et meilleures façons d’utiliser leur richesse en biodiversité sans la détruire. BioAlfa est un projet pilote : s’il fonctionne, il pourrait être reproduit dans d’autres pays tropicaux. Le but ultime est de créer une bibliothèque de la vie, gratuite et accessible à tous.