Près de trois mois après le vol de 400 épicéas et chênes en Ariège, l’inquiétude gagne exploitants et propriétaires des Pyrénées dont les forêts privées sont peu surveillées.
Des souches tronçonnées, des flaques aux reflets bleuâtres d’huile et d’essence renversées… Trois mois ont passé depuis le vol de 400 épicéas et chênes en Ariège, mais le traumatisme est toujours présent chez les forestiers. « C’est un massacre, on dirait qu’il y a eu un bombardement« , soupire Gérard Durand, le maire de Perles-et-Castelet, village où habitent les propriétaires des parcelles saccagées. Qui est responsable? Une enquête a été ouverte par le parquet de Foix. Pris sur le fait, les bûcherons travaillent pour l’entreprise Bautista, basée en Espagne. Après avoir acheté du bois sur une parcelle en novembre, ses employés ont « continué sur quinze parcelles supplémentaires, sans autorisation« , assure Gérard Durand. Joint par l’AFP, le gérant de l’entreprise affirme qu’il s’est « trompé« , notamment induit en erreur par le fait que « les propriétés sont beaucoup plus petites en France qu’en Espagne« . Ce vol massif de bois préoccupe certains propriétaires forestiers de la région, qui craignent que d’autres entreprises ne viennent piller leurs parcelles. « On peut être inquiet« , reconnaît Renée Bottarel, gérante d’une scierie au sud de la Haute-Garonne. « Le vol de bois, ça a toujours existé, mais ça s’était drôlement calmé. Maintenant, je surveille un peu plus mes propres parcelles. » Dans les Pyrénées audoises, la filière du bois fait preuve de « davantage de vigilance« , selon Didier Inard, président du Syndicat des scieurs et exploitants forestiers de l’Aude. « Le fait que l’affaire ait été médiatisée a mis en éveil les exploitants. »
Outre les exploitants, les propriétaires forestiers sont également sur la défensive. Avec son taux de boisement de 36%, l’Occitanie est la deuxième région sylvestre de France, mais sa forêt appartient pour 79% à des propriétaires privés. En tout, le territoire forestier d’Occitanie est morcelé en 430.000 propriétés, dont la majorité n’est pas surveillée. « En Ariège, la plupart sont propriétaires de petites surfaces« , estime-t-on à la Direction départementale des territoires (DDT). « Certains ne savent même pas qu’ils sont propriétaires, d’autres ne connaissent pas les limites de leurs parcelles. » A Perles-et-Castelet, plusieurs propriétaires des parcelles touchées sont des résidents secondaires, qui ne viennent que quelques mois par an en Ariège. Coïncidence? les victimes soupçonnent la présence de rabatteurs sur place pour sélectionner les parcelles les moins surveillées. Si ce vol de grande ampleur est un phénomène rare, « il y a un risque de plus en plus grand de voir du banditisme dans les zones peu surveillées avec du bois de qualité« , pour Pierre Eclache, président du syndicat des propriétaires forestiers privés en Ariège. « Autrefois, l’administration forestière était une grande maison et les gardes forestiers étaient attachés à un territoire« , explique Sébastien Drouineau, directeur adjoint en Occitanie du Centre régional de la propriété forestière (CRPF), organisme public accompagnant les propriétaires de forêts privées. « Aujourd’hui il ne reste que quelques techniciens » par département. En Ariège, territoire le plus boisé de la région (53%), ils ne sont que deux techniciens du CRPF, pour surveiller 189.000 hectares de forêt privée. La tâche est immense. « Il faut un message fort passé auprès des exploitants: stop aux vols de bois, qui discréditent la filière et conduisent aux amalgames« , commente Jérôme Moret, l’un des deux techniciens.
Le marché du bois, comme toutes les matières premières, est actuellement sous haute tension. Les prix moyens du bois ont progressé « entre 20% et 30% selon les essences entre octobre et maintenant« , déclare à l’AFP Luc Charmasson, président du Comité stratégique de la filière bois. Après un an d’arrêt pour cause de pandémie, le marché de la construction a repris plus tôt dans certains pays, comme la Chine et les États-Unis, qui sont très demandeurs. Ce n’est toutefois pas la raison des pillages, selon Michel Druilhe, président de France Bois Forêt, qui y voit un « épiphénomène« . « Il ne faut pas confondre l’escroquerie originelle de l’être humain et un phénomène économique » même si « le bois manque, en Espagne« , affirme le responsable de l’interprofession qui regroupe 24 organisations de la filière forêt-bois française. En attendant les conclusions de l’enquête, les propriétaires floués ont monté un collectif, pour se défendre et alerter sur les risques d’un autre massacre à la tronçonneuse.