Dans l’affaire du Petit chaperon rouge, sa culpabilité ne fait aucun doute. Le dossier des Trois petits cochons est tout aussi accablant. L’assassin de l’agneau qui se désaltérait dans le courant d’une onde pure, c’est lui, qui pourrait en douter ? Et pour ce qui est de Pierre et le loup, là encore son forfait est signé. Que manquait-il au casier judiciaire déjà lourd du grand méchant loup ? Le petit Émile, bien sûr !
Grâce au Chasseur français, voilà une insupportable lacune enfin comblée. Sans le moindre commencement d’indice, l’organe officieux de l’extrême-chasse instruit une nouvelle fois le procès du loup, en mettant à profit sans vergogne un fait-divers affligeant : la disparition puis la mort encore inexpliquée d’un bambin de deux ans et demi, l’été dernier dans les Alpes de Haute-Provence.
Pour ficeler son affaire, le Chasseur français se fonde sur une phrase du procureur de la République, en conférence de presse : le crâne du petit garçon, retrouvé plusieurs mois après le drame, présente « de petites fractures et des fissures post-mortem » ainsi que « des traces de morsure probablement causées par un ou des animaux ». Le magistrat précise aussitôt qu’« aucun traumatisme ante mortem n’a été observé »… mais le magazine omet soigneusement cette précision, s’en tenant aux morsures animales. Et quel animal, sinon le loup ? L’hypothèse, bien trop banale, d’un chien -les chasseurs sont nombreux dans la zone- ou de toute autre bestiole n’est même pas évoquée.
Voilà donc un loup diabolique et doté de super-pouvoirs, capable de capturer en plein jour un gamin près de la fontaine du village, de l’emporter dans sa gueule sur plus de deux kilomètres, puis de le mettre à mort sans lui infliger le moindre traumatisme ! Ni Perrault, ni les frères Grimm, ni La Fontaine n’y avaient pensé. Le Chasseur, oui.
« Ne mêlez plus le loup à vos sales histoires, implorait Henri Tachan dans une chanson de 1974, vos contes, vos dictons, c’est de la merde à boire. Et si la faim elle fait sortir le loup du bois, vos guerres vous font sortir de partout à la fois ».
Pour la merde à boire, Tachan en a rêvé, Perrier le fait. C’est fou… Mais pour laisser enfin un peu de répit au loup, il serait illusoire de compter sur le Chasseur français !
