Fongicide dans l’eau potable: la Vienne déroge au seuil de qualité

Karolina Grabowska de Pixabay

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Karolina Grabowska de Pixabay
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« Au robinet, de l’eau consommable mais non potable », dénonce l’association Vienne nature: le préfet du département vient de déroger au seuil de qualité de l’eau potable en raison d’une concentration trop importante de résidus d’un fongicide, pourtant interdit depuis des années.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) avait tiré la sonnette d’alarme en avril, dans un rapport soulignant la présence « dans plus d’un prélèvement sur deux » sur l’ensemble du territoire français du métabolite du chlorothalonil R471811.  Ce fongicide, autorisé jusqu’en 2020, était utilisé pour traiter des cultures céréalières ou viticoles. Sa dégradation dans l’environnement a notamment produit le R471811 retrouvé dans les captages.   La Vienne, avec ses grandes plaines céréalières, souffre d’une pollution quasi-généralisée de son eau potable par ce métabolite du chlorothalonil, classé comme « cancérogène supposé » par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).   Selon la législation française, sa présence dans l’eau potable, comme d’autres molécules chimiques, obéit à une limite de qualité fixée à 0,1 µg/L, même si son seuil sanitaire pour que l’eau reste consommable est nettement plus élevé (3 µg/L), d’après les autorités sanitaires.

Captages fermés

 Dans la Vienne, des concentrations supérieures à 2 µg/L voire 5 µg/L ont été relevées dans certains secteurs ruraux et des captages ont même dû être fermés en mai dans l’ouest du département, car la valeur atteignait 7,5 µg/L, malgré des efforts de dilution avec d’autres nappes.   Le 2 juin, le préfet Jean-Marie Girier a même prépositionné des dizaines de palettes d’eau en bouteilles dans les mairies pour alimenter 5.000 habitants, mais la concentration en R471811 a baissé in extremis, à la faveur d’interconnexions avec d’autres ressources.  Le 11 septembre, au sortir d’un été marqué par un nouvel épisode de sécheresse, il a signé un arrêté accordant, pour trois ans, la possibilité de distribuer une eau dont la limite de qualité du métabolite R471811 (ainsi que la somme des pesticides) atteint 0,9 µg/L.   Cette dérogation concerne les plus de 400.000 habitants du département. Trois unités de distribution ont même des dérogations supérieures.  « Ces mesures ne sont pas en accord avec ce qui se passe aujourd’hui. Il faut revoir le modèle », a réagi Rémy Coopman, président d’Eaux de Vienne, l’un des deux distributeurs locaux d’eau potable, dans la Nouvelle République/Centre Presse.  Il plaide pour « trouver d’autres sources de financement », notamment « sur du préventif », car « il est hors de question que mes abonnés soient victimes deux fois, en consommant une eau de qualité qui n’est pas optimale tout en supportant la potentielle future charge financière du traitement de l’eau ».

Centaines de millions d’euros

 Selon ses premiers calculs, l’installation de stations de traitement par charbon actif coûterait des centaines de millions d’euros et pourrait faire tripler la facture de l’usager.  Laurent Lucaud, vice-président chargé de l’eau à Grand Poitiers, a également demandé mercredi au préfet « d’interdire l’usage des produits phytosanitaires dans les aires d’alimentation des captages prioritaires ».  L’association de collectivités Amorce avait fait une demande similaire au gouvernement en juillet, après une enquête « préoccupante » en juin auprès de ses membres: 88% d’entre eux avaient identifié des pollutions émergentes, essentiellement aux métabolites de pesticides, sur certains captages.  Laurent Lucaud a aussi appelé l’agence de l’eau Loire-Bretagne (AELB) à « réorienter massivement les crédits vers la préservation de la qualité de l’eau et l’accompagnement des agriculteurs ».  L’élu prône une « accélération des mesures environnementales » pour « protéger la population », comme le fait sa collectivité depuis 20 ans avec des programmes de protection des captages d’eau potable dans 13 communes abritant une population totale de 125.000 habitants.   « Cet accident sanitaire va toucher à terme 60 à 70 % du territoire français. Qui va dépolluer le patrimoine universel qu’est la réserve d’eaux brutes ? Ce ne sont pas les producteurs d’eau potable qui ont contaminé leurs ressources. L’État va-t-il choisir de protéger ses populations? », a-t-il interrogé.