« Aimable baratin » pour le constitutionnaliste Didier Maus, « insertion platonique » pour le professeur Paul Cassia, phrase « mal rédigée » et « inutile » pour l’avocat Arnaud Gossement… Le projet d’insertion de l’environnement à l’article 1 de la Constitution, porté par Nicolas Hulot, est vivement critiqué par les juristes.
« Sanctuariser » la transition écologique en l’inscrivant dans le Constitution de la République ? L’idée ne pouvait que séduire les tenants d’un développement économique respectueux de la nature et de ses ressources. C’était en outre un engagement du président de la République. Mais comme souvent en pareil cas, le diable est dans les détails. Première alerte : dans un premier temps, seule la lutte contre le changement climatique devait figurer dans la loi fondamentale. Après échanges et concertation, il fut admis que la protection de la biodiversité y serait aussi accueillie. Mais le premier ministre Eduard Philippe allumait aussitôt un contre-feu en précisant que climat et biodiversité seraient inscrits à l’article 34 de la Constitution, celui qui énumère les compétences du législateur. Autrement dit, cette modification de la Constitution aurait consisté à dire que seul le parlement est compétent pour traiter des questions relatives à l’environnement. Au mieux, cela n’aurait rien changé à la pratique actuelle, au pire cela aurait pu restreindre le champ d’action du ministre de l’écologie et politiser certains débats qui n’en on pas besoin !
Changement de discours la semaine dernière : l’environnement figurera bien à l’article 1 de la Constitution, celui qui fixe les grands principes que la République entend respecter. Cette évolution fut présentée comme une victoire politique de Nicolas Hulot. Hélas, la proposition de formulation de la phrase à insérer dans cet article 1 est venue doucher les attentes des écologistes comme celles des juristes : « La République assure un niveau de protection de l’environnement élevé et en constante progression, notamment pour la protection de la biodiversité et l’action contre le changement climatique ». D’abord, observent les juristes, la phrase est bizarrement rédigée : assurer « la protection » … « notamment pour la protection », voilà qui tourne un peu en rond. Ensuite, l’adverbe « notamment » pose en lui-même un problème : « on commence une liste que l’on ne finit pas sans indiquer pour quelle raison on retient certains de ses éléments sans citer les autres. Cela donne un sentiment d’inachevé ou de flou qui fait mauvaise figure dans un texte de valeur constitutionnelle », s’étonne l’avocat Arnaud Gossement, qui voit dans cette formulation des risques de régression par rapport à l’ordre juridique existant, et notamment par rapport à la charte de l’environnement, qui a déjà valeur constitutionnelle ! En outre, la référence, dans cette phrase, à une protection « en progression constante » pourrait rendre inutile l’inscription dans la Constitution du principe de non-régression tel qu’il est formulé dans la loi de 2016, inscription réclamée dans plusieurs amendements déposés par des députés.
« Juridiquement, cette formulation ne veut absolument rien dire. Si vous voulez mon avis, c’est un aimable baratin. Sur le fond, je suis d’accord avec Nicolas Hulot, je partage ses préoccupations. Mais ce qu’il propose correspond à une évolution des textes juridiques que nous, juristes, regrettons : ils ressemblent de plus en plus à des exposés de motifs, à des déclarations d’objectifs. Or, un texte de loi, c’est avant tout, en principe, des règles », tranche le professeur de droit constitutionnel Didier Maus, dans un entretien à Marianne. Son confrère Paul Cassia est tout aussi cinglant dans une tribune de Mediapart : « En espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard pour préserver ce qu’il en reste, l’environnement a besoin d’actes, pas de gesticulations internationales ou constitutionnelles purement communicationnelles ».
Mercredi soir, les députés ont adopté en commission une formulation qui a peu de chances de rencontrer les faveurs du professeur Maus : elle indique, à l’article 1er, que la France « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques ».
« L’article 1er définit les principes fondamentaux de la République, c’est une portée normative beaucoup plus forte que l’article 34. Le Conseil constitutionnel construit sa jurisprudence à partir de ces principes fondamentaux », a plaidé l’auteur de l’amendement, le député LREM Richard Ferrand. « Toutes les grandes organisations environnementales qui ont travaillé sur cette question avec des juristes spécialisés nous ont demandé d’inscrire cette disposition dans l’article 1er de la Constitution, a renchéri l’UDI Bertrand Pancher. C’est une avancée très forte, il ne faut pas bouder notre plaisir », a-t-il lancé à certains députés de gauche qui, tout en « actant cette avancé », auraient souhaité aller un peu plus loin en ajoutant le principe de non-régression de l’environnement. Ce principe de « non-régression » est « trop flou », selon M. Ferrand qui craint que sa définition « soit confiée au juge et aux experts ».
« Notre Constitution va bien bavarder et radoter. On enfonce des portes ouvertes », a cependant relativisé le LR Philippe Gosselin, soulignant que depuis 2005, il y a déjà l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution, et rejoignant les convictions affichées par les spécialistes du droit constitutionnel.