La conservation des grands singes, notamment en Afrique, dépend en majorité d’un tourisme de luxe qui finance les parcs et la vie des populations locales. Avec la pandémie du Covid-19 et l’arrêt du tourisme international, ce mécanisme est mis à rude épreuve.
Depuis plusieurs semaines, la pandémie de COVID-19 cloue au sol la grande majorité des vols internationaux et bloque le tourisme international dans le monde entier. Les parcs naturels sont presque tous fermés, avec des conséquences variées pour leurs résidents animaux. Cela est particulièrement vrai pour les parcs africains où s’est développé un éco-tourisme en lien avec les grands singes. Ainsi, en Ouganda et au Rwanda, il est désormais impossible de randonner à la rencontre des chimpanzés et des gorilles. Or le manque de visiteurs pourrait avoir des conséquences potentiellement dévastatrices pour les opérations de conservation des grands singes, qui dépendent des revenus du tourisme. Ces revenus fournissent également des incitations financières aux gouvernements et aux citoyens pour protéger la faune sauvage autour de leurs communautés.
Le sort des gorilles des montagne est un exemple de l’impact positif que le tourisme des animaux sauvages peut avoir sur la conservation. En 1981, le nombre de gorilles des montagnes de la région des Virunga en Afrique de l’Est était d’environ 250. En 2010, la population avait presque doublé. Aujourd’hui, la population totale (y compris la population isolée de Bwindi) est de plus de 1 000 individus. Le tourisme dans des parcs tels que le parc national des volcans au Rwanda, le parc national de la forêt impénétrable de Bwindi en Ouganda et le parc national des Virunga en République démocratique du Congo (RDC) a constitué une incitation financière convaincante pour les gouvernements et les communautés locales à protéger les gorilles de montagne et leur habitat. Le secteur contribue à hauteur de 60 % aux revenus de l’Uganda Wildlife Authority. Les communautés d’Ouganda et du Rwanda reçoivent également un pourcentage des revenus du tourisme, ainsi que des opportunités d’emplois liés au tourisme. Mais à mesure que ces revenus s’évaporent, dans un contexte de pandémie mondiale, il y a de fortes chances que les communautés autour des parcs nationaux se tournent vers le braconnage et la déforestation illégale. L’absence de touristes et la réduction du nombre de gardes forestiers surveillant les gorilles pourrait encourager les communautés locales, dépossédées des revenus touristiques dont elles ont besoin pour se nourrir, à exploiter la forêt et ses animaux.
L’ONG ougandaise Conservation Through Public Health (CTPH) encourage les habitants concernés à reprendre des activités agricoles, qui avaient été largement délaissées en faveur de l’emploi dans le tourisme. Elle souligne que les régions qui ne bénéficient pas de subventions importantes et qui dépendent entièrement des revenus du tourisme sont les plus menacées par la situation actuelle. Selon Johannes Refisch, coordinateur du programme « United Nations Great Apes Survival Partnership program » (GRASP), des mécanismes de financement d’urgence doivent être inventés pour parer ces situations, avec une réflexion sur la façon de les mettre en œuvre et de s’assurer que l’argent arrive rapidement.
En Asie, les conséquences économiques du coronavirus sur le tourisme des grands singes, qui concerne les orangs-outans d’Indonésie et de Bornéo, se font beaucoup moins ressentir : cette activité génère beaucoup moins de revenus qu’en Afrique. Un trekking avec des orangs-outans peut coûter moins de 100 dollars au total, alors que le seul permis pour voir des gorilles de montagne au Rwanda est de 1 500 dollars. Une baisse soudaine du tourisme va ainsi affecter le Rwanda plus que l’Indonésie, où le PIB ne dépend pas autant du tourisme de la faune et de la flore. En revanche, les sanctuaires d’orangs-outans vont se débattre sans l’argent du tourisme, de même que tous les centres de réhabilitation de grands singes du monde. La pandémie COVID-19 rappelle ainsi que de nombreuses régions dépendent dangereusement du tourisme, et qu’il est utile de mettre en place d’autres industries afin que les communautés rurales puissent bénéficier d’alternatives lorsque les revenus touristiques sont coupés. Ainsi, en 2015, le CTPH a créé le Gorilla Conservation Coffee. Les agriculteurs sont payés au-dessus des prix du marché pour produire du café afin de réduire leur dépendance vis-à-vis des parcs nationaux ougandais pour la nourriture et le bois de chauffage. Les revenus de ce projet et d’autres projets de subsistance alternatifs sont estimés entre 30 et 50 % de ce que ces agriculteurs pourraient actuellement gagner grâce aux revenus du tourisme.