La pêcherie des Kerguelen va-t-elle servir de modèle pour la protection des dauphins du golfe de Gascogne? En dix ans, les pêcheurs de légine sont parvenus à y réduire drastiquement les captures accidentelles d’oiseaux marins, tout en préservant la ressource et l’équilibre économique des armateurs.
« On ferait sans doute bien de s’en inspirer », estime Didier Gascuel, professeur en écologie marine, dans son dernier livre, « La pêchécologie » (éditions Quae, 2023). Le chercheur à l’Institut Agro de Rennes plaide pour un système de « bonus-malus » en matière de quotas de pêche dans le golfe de Gascogne pour limiter les captures accidentelles de dauphins, à l’instar de ce qui a été fait aux îles Kerguelen et Crozet, par l’administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Au début des années 2000, cette pêcherie de l’océan austral était pourtant loin d’être exemplaire. La légine, un poisson très prisé sur les marchés asiatiques, qui peut vivre 30 ans et peser près de 10 kilos, faisait l’objet d’une intense pêche illégale. L’abandon du chalut pour la palangre avait bien permis une pêche plus sélective. Mais ces longues lignes de milliers d’hameçons provoquaient une forte mortalité d’oiseaux marins protégés, en particulier les albatros et les pétrels. « On avait constaté que les palangres ne coulaient pas assez rapidement », se souvient Gildas Balannec, ancien capitaine de l’Ile de la Réunion II, un navire palangrier de 63 mètres avec 31 marins à bord. « Les oiseaux se prenaient dans les appâts et les hameçons. » Pour y remédier, des lignes « auto-lestées » de petites billes de grenailles sont adoptées et des banderoles d’effarouchement installées à l’arrière des bateaux pour cacher la palangre lors de sa mise à l’eau (le filage). « On ne faisait les filages que de nuit, feux éteints, car on avait trop de captures d’oiseaux en journée », complète M. Balannec, aujourd’hui ligneur à Audierne (Finistère). Le tout est assorti d’un système de bonus/malus pour les navires, qui voient une partie de leurs quotas de pêche conditionnés au taux de mortalité aviaire. « La capture d’un seul oiseau pouvait ainsi représenter plusieurs milliers de dollars de perte de quota », souligne M. Gascuel.
« Prime au bon élève »
« Il y avait une prime pour le bon élève », confirme M. Balannec. « C’était une grosse pression pour les capitaines. » En moins de dix ans, les captures accidentelles d’oiseaux marins chutent de 90%. A tel point que « c’est considéré par tous les ornithologues comme une pêche exemplaire », assure Florence Jeanblanc-Risler, préfète des TAAF, qui vante un « encadrement remarquable qui n’existe dans aucune autre pêcherie dans le monde ». Dans le dernier plan de gestion, 30% des quotas restent attribués sur critères environnementaux (mortalité aviaire, pertes de matériel et captures de raies), avec un objectif de 5 oiseaux capturés pour 1 million d’hameçons. Ces objectifs sont évalués par des contrôleurs de pêche assermentés, présents à bord de chaque navire. Quant à la ressource, elle fait l’objet d’une « gestion extrêmement rigoureuse », pointe Mme Jeanblanc-Risler, qui souligne qu’on ne pêche « qu’à peine 4% de la population de légine chaque année ». C’est enfin une pêche extrêmement rentable (8% de la valeur ajoutée de la pêche française), grâce aux prix élevés de la légine (25,66 euros/kg en 2022). Très singulière, cette pêcherie peut-elle cependant servir d’exemple au golfe de Gascogne? Moins de la moitié des poissons (48%) y sont pêchés durablement, tandis que les captures accidentelles de dauphins (environ 9.000 par an) sont jugées préoccupantes par les scientifiques. Pour éviter des interdictions de pêche d’un mois, comme celle qui s’est terminée mercredi, M. Gascuel suggère d’attribuer des bonus de quotas aux pêcheurs qui « acceptent des caméras embarquées ». « Ça peut être un outil qui fait la démonstration qu’on fait les efforts nécessaires et qu’on ne capture pas les dauphins », dit-il. L’ancien pêcheur de légine Gildas Balannec est moins convaincu, encore marqué par la « fatigue psychologique » liée à l’encadrement strict de cette pêche. « Je suis venu en Bretagne pour finir tranquillement mes dix dernières années. Et je me retrouve à enchaîner encore ces contraintes », lâche-t-il.