La biologie synthétique fait rêver et trembler les scientifiques

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Bianca van Dijk de Pixabay
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Dans Jurassic Park, des manipulations génétiques permettaient de ressusciter des dinosaures. Trente ans plus tard, la biologie de synthèse existe bien, non pour recréer des espèces disparues mais pour venir à bout d’espèces envahissantes.

Le film de Steven Spielberg se déroulait sur une île imaginaire au large du Costa Rica. C’est précisément sur une île que pourrait avoir lieu la première expérience scientifique, peut-être au cours de la prochaine décennie, selon des experts et des militants réunis au congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille (sud). 80% des îles partagent le même problème, les rats, qui ravagent de fragiles écosystèmes locaux et s’en prennent par exemple aux oeufs d’oiseaux. Depuis plus de 20 ans, l’organisation Island Conservation travaille à l’éradication d’espèces exotiques envahissantes, qui sont une des principales menaces pour la biodiversité, explique à l’AFP Royden Saah. Elle y est parvenue dans deux îles des Galapagos, Seymour Nord et l’îlot de Mosquera, avec des drones et des pièges. Mais c’est une tâche coûteuse, au résultat incertain, quand l’utilisation de raticides peut provoquer des dommages collatéraux. « Faut-il créer un rat modifié génétiquement pour que sa descendance soit uniquement masculine (ou féminine)? », s’interroge Island Conservation sur son site internet. Ce rat n’existe pas aujourd’hui. « Mais si nous ne faisons pas de recherche, nous ne pourrons pas connaître le potentiel de cette technologie », estime Royden Saah, qui coordonne une équipe de chercheurs. Il y a cinq ans, les 1.400 membres de l’UICN ont demandé la création d’un groupe de travail sur la question. Aujourd’hui, ils veulent trouver des principes communs sur la biologie de synthèse via une motion, qui rappelle l’importance du principe de précaution.
Tous les participants aux débats à Marseille reconnaissent que les interrogations sont considérables. « Les potentielles applications de la biologie de synthèse me font aussi peur », reconnaît le responsable du groupe de travail de l’UICN, Kent Redford, en présentant ses conclusions à Marseille. « Il existe des risques écologiques évidents et des préoccupations concernant les modifications génétiques d’espèces sauvages« , alerte Ricarda Steinbrecher, généticienne engagée dans l’ONG Pro-Natura. Pro-Natura et les Amis de la Terre font partie d’ONG tirant la sonnette d’alarme. Les scientifiques eux-mêmes ne parviennent pas à s’entendre sur les frontières exactes de la biologie de synthèse. Un rat modifié appartient-il toujours à son espèce, ou est-ce une nouvelle? Un exemple cité par les scientifiques est de créer une corne de rhinocéros, pour que cet animal cesse d’être braconné. Mais « les gens veulent le vrai produit », rétorque Ricarda Steinbrecher. Pour Royden Saah, « rien n’empêche de poursuivre les recherches ».
Les débats sont vifs et la situation de certains écosystèmes très préoccupante. Pour Samuel Gon, conseiller scientifique de l’ONG Nature Conservancy à Hawaï, il n’est plus possible d’attendre. La biologie synthétique « n’est pas une option. Elle ne va pas arriver à temps pour sauver les oiseaux » des îles, explique-t-il à l’AFP.  Sur plus de 50 espèces d’oiseaux endémiques connues à Hawaï n’en subsistent qu’une quinzaine, dont cinq en danger critique d’extinction. Des moustiques arrivés au 19e siècle ont apporté le paludisme aviaire, causé par un agent parasite et mortel pour les oiseaux. Hawaï est sur le point d’utiliser une technique déjà au point pour stériliser les moustiques en leur inoculant une bactérie, la Wolbachia, aussi utilisée pour lutter contre la dengue en Nouvelle-Calédonie.  Mais au-delà de l’urgence pour stopper l’extinction des espèces et la perte de biodiversité, certains scientifiques sembleraient avoir d’autres ambitions. Il y a quelques mois, des chercheurs assuraient être parvenus à séquencer entièrement le génome d’un mammouth vieux d’un million d’années. « Les défis techniques pour parvenir au séquençage fiable du génome d’espèces éteintes sont immenses », avertit toutefois le rapport des experts de l’UICN. « Nous devons accepter le fait que certaines espèces ont disparu, aussi pénible que ce soit. Le principal objectif est de préserver ce que nous avons », défend Ricarda Steinbrecher.