Colombie: la victoire de populations locales pour protéger leur environnement préservé

fernando patiño franco de Pixabay

939
fernando patiño franco de Pixabay
⏱ Lecture 3 mn.

Face aux eaux claires du Pacifique colombien, dans la région préservée du Choco, un gigantesque port devait voir le jour. Mais, les populations locales, soutenues par des organisations de défense de l’environnement, ont fait échouer le projet pariant sur un autre modèle de développement.

Chaussée de bottes, les mains protégées par des gants en caoutchouc, Marcelina Moreno patauge au milieu de la dense végétation d’une mangrove à la recherche de pianguas, un mollusque considéré comme un mets délicat en Équateur et au Mexique.   « Nous n’allons pas permettre qu’on le détruise, c’est un patrimoine naturel », assure cette Afro-Colombienne de 51 ans, à propos des 600 hectares de plages, forêts et mangroves entourant le golfe de Tribuga, où abondent aussi thons et crevettes. « Ce sera pour les enfants, afin qu’ils aient de quoi vivre à l’avenir », poursuit-elle.  La région, qu’aucune route ne permet d’atteindre, a été le théâtre entre 2006 et 2023 d’une longue bataille entre communautés locales et porteurs d’un projet de mégaport en eaux profondes, doté de quais de jusqu’à 700 mètres de long, afin de relier la côte pacifique aux régions industrielles du centre-ouest de la Colombie.   Une trentaine de gouvernements locaux et d’hommes d’affaires se sont associés pour concevoir ce projet qui prévoyait aussi la construction d’une route de quelque 80 kilomètres de long à travers la jungle pour relier la ville côtière de Nuqui au reste du pays.   En 2018, le soutien du président conservateur Ivan Duque, qui en fait une priorité de son mandat en arrivant à la tête du pays, donne un coup d’accélérateur au projet.   Mais les 18.000 habitants de cette région aux paysages luxuriants où poussent plus de 1.500 espèces végétales endémiques et où les baleines à bosse viennent mettre bas entre juin et novembre, soutenus notamment par des organisations de défense de l’environnement, se mobilisent en rêvent d’un autre type de développement, plus équitable et durable.

« Ecotourisme et pêche artisanale »

Les populations locales, des Afro-Colombiens en majorité mais aussi des indigènes Embera, « parlent d’écotourisme et de pêche artisanale, de vente de crédits carbone et de différentes stratégies qui n’affectent pas le biome », explique à l’AFP Arnold Rincon, directeur du Codechoco, l’autorité environnementale locale qui s’est aussi battue contre le projet.  Dans une région où le taux de chômage avoisine les 30% et où la pauvreté touche 63% des habitants, le projet promettait d’apporter « beaucoup de travail », se souvient Marcelina Moreno. Une participation dans le projet, bien que « minime », était aussi annoncée. Mais, il « allait entraîner la destruction des mangroves, de la terre, de tout. Alors (on a dit) non », se souvient-elle.  Plus au sud, à 200 kilomètres de là, le port de Buenaventura, plus grand terminal de marchandises de Colombie sur la côte pacifique, leur a aussi montré ce dont ils ne voulaient pas. Une grande partie de sa population, là aussi majoritairement afrodescendante, y vit dans la pauvreté, sans possibilité d’emploi et sous le joug des groupes armés qui se livrent au trafic de drogue.  « Buenaventura est comme un miroir. Le port ne profite qu’à quelques-uns », assure M. Rincon.  En février 2022, sous la pression d’une campagne environnementale agressive, le président Duque finit par revenir sur sa décision et demande dans la foulée à l’Unesco de désigner la zone comme réserve de biosphère, ce qui a été fait le 14 juin dernier.  L’Unesco a donné un « élan international » à la demande des habitants, se félicite M. Rincon.   Le tourisme, qui a augmenté de 126% dans la région entre 2019 et 2021, selon les données officielles, apparaît comme un moteur de développement.   L’artisanat local semble profiter aussi du coup de projecteur donné par l’Unesco au site: le poisson frais pêché dans le golfe est acheminé par avion jusqu’aux tables des restaurants de l’intérieur du pays et le viche, un alcool de canne à sucre distillé localement, fait son apparition dans les bars de Bogota.   La mangrove, c’est « la vie », assure Arisleda Hurtado, présidente de l’association locale des piangueras, ces femmes qui récoltent les pianguas, en marchant dans cet écosystème qui retient le dioxyde de carbone, atténuant le changement climatique.  « Lorsque vous survivez grâce à quelque chose, vous devez en prendre soin, vous ne pouvez pas détruire ce qui vous soutient », ajoute-t-elle.