Biodiversité : nouveaux recours contre l’Etat

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Sang Hyun Cho de Pixabay
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Après la pollution de l’air et le climat, l’Etat fait désormais face à des recours en justice dans un autre domaine emblématique de la qualité de vie sur Terre: le déclin de la biodiversité associé à l’utilisation « immodérée » des pesticides.

Notre Affaire à tous et Pollinis ont lancé la semaine dernière un recours préalable pour « carence fautive » visant à faire reconnaître le « manquement » de la France à ses engagements de protection de la nature, notamment en raison des « défaillances » du processus d’autorisation des pesticides qui participent à la destruction de la biodiversité. La défense du climat et de la qualité de l’air font déjà l’objet de procédures judiciaires emblématiques lancées par des ONG, avec des succès « historiques » ces derniers mois. Mais « c’est vraiment une première mondiale d’engager un recours contre l’Etat pour ne pas prendre les mesures nécessaires pour protéger la biodiversité sur son territoire », assure à l’AFP Emmanuel Daoud, avocat de ce recours baptisé « Justice pour le vivant ».« Malgré tous les discours, et au mépris des lois et des conventions nationales, européennes et internationales, l’Etat français a failli à mettre en place un système d’homologation des pesticides réellement protecteur des pollinisateurs et de la faune en général », déclare Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis, alertant sur l’effondrement des populations d’insectes, en particulier les abeilles. En cas de réponse non satisfaisante de l’Etat dans les deux mois, les requérants prévoient de se tourner vers la justice administrative. Une procédure identique à celle lancée fin 2018 sur le climat par Notre Affaire à tous et trois autres ONG (Greenpeace, Oxfam, Fondation Nicolas Hulot).
Dans cette « Affaire du siècle » soutenue alors par plus de 2,3 millions de citoyens, le tribunal de Paris a jugé en février que l’Etat était « responsable » de manquements dans la lutte contre le réchauffement. Il avait cependant ordonné un délai pour étudier l’opportunité de réclamer des mesures supplémentaires à l’Etat. Une nouvelle audience sur ce point est prévue le 30 septembre, après la décision en juillet du Conseil d’Etat de donner neuf mois au gouvernement pour en faire plus pour le climat.
Sur le fond, la nouvelle affaire « Justice pour le vivant » a des bases juridiques différentes. La biodiversité ne fait en effet pas l’objet d’un objectif global chiffré, contrairement à la lutte contre le réchauffement basé sur un engagement de la France à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030. « Tout ce qui concerne la biodiversité est encore assez peu contraignant » et « peu opposable » en justice, note Chloé Gerbier, porte-parole de Notre Affaire à tous. C’est pourquoi ils ont décidé de s’appuyer sur les pesticides. « Le facteur le plus évident, notable, significatif et celui sur lequel on pourrait avoir une influence immédiate » en interdisant ces produits, estime Me Daoud. « Nous nous étonnons que la question de la protection de la biodiversité se résume ici aux effets éventuels des pesticides », a réagi Eugénia Pommaret, directrice générale de l’UIPP qui regroupe les industries phytosanitaires, soulignant l’impact d’autres activités humaines comme l’urbanisation. Depuis le Grenelle de l’environnement fin 2007, qui avait fixé un objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides de synthèse en dix ans, les plans successifs ont échoué. La « sortie du glyphosate » promise par Emmanuel Macron ne s’est pas non plus concrétisée et le gouvernement a permis la réintroduction temporaire des insecticides néonicotinoïdes, qualifiés de « tueurs d’abeilles », pour la culture de la betterave. Le président s’est toutefois engagé à l’ouverture du congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) vendredi à porter une « initiative forte » de sortie « accélérée » des pesticides lors de la présidence française de l’UE en 2022.
Comme dans l’Affaire du siècle, le nouveau recours espère mobiliser les citoyens avec le site justicepourlevivant.org pour interpeller les ministres concernés sur les réseaux sociaux. Cible également des militants, les firmes agro-chimiques et le modèle agro-industriel. « Lorsqu’ils auront transformé cette terre en désert, pourrons-nous regarder nos enfants dans les yeux? », lance le réalisateur et militant Cyril Dion dans la vidéo de cette campagne. « En attendant que l’histoire juge les gouvernements pour avoir soutenu un système qui tue le vivant, nous réclamons justice pour le vivant ».

 

Dans la Drôme, c’est un collectif de parents d’élèves qui assigne la préfecture -donc l’Etat- devant le tribunal administratif pour « inaction environnementale ». Ce recours vise notamment les pratiques de la préfecture qui décide de ne pas appliquer les lois, à coups de dérogations et de déclarations d’utilité publique pour des grands projets d’aménagement des terres agricoles et des zones humides qui ont un impact sur la biodiversité.